AGO
3
1834

Giustiniani, Anna, n. Schiaffino a Cavour, Camillo Benso di 1834-08-03 #1383


Mittente:
Giustiniani, Anna, n. Schiaffino.
Destinatario:
Cavour, Camillo Benso di.
Data:
03 Agosto 1834.

                                                                                                                Voltri, 3 Août 1834
      Je te sais bien bon gré, mon cher Camille, des détails que tu me donnes sur ton train de vie à Vaudier. Je te plains d'avoir des voisines aussi bruyantes, et j'aimerais mieux encore te savoir auprès de M.me Guasco qu'à leurs côtés, car du moins elle ne t'ennuyerait pas. Non, Camille, je ne sais pas être jalouse, et cela ne vient pas de ce que je t'aime froidement, ou de la haute idée que je puis avoir de ma petite personne; mais je ne puis douter de toi, ce serait altérer l'estime que tu m'inspires; ce serait trouver une tache à ma Divinité, détruire en partie ce qu'elle a de prestigieux pour moi. Non, Camille, je ne serai jamais jalouse; j'ai en toi la confiance la plus illimitée. Si pourtant ton bonheur exigeait de cruels sacrifices, je saurais me les imposer et mourir.
      J'espère que tu auras reçu toutes mes lettres: hier, lorsque je m'y attendais le moins, j'en ai reçu une de l'anglais, qui me demande quand il pourra me voir, et m'apprend qu'il a été fort dangereusement malade. Je compte lui répondre que pour le moment je le prie de ne point venir: que je suis irrévocablement engagée, et que, sans cesser d'avoir de l'amitié pour lui, je ne puis entretenir désormais aucune correspondance avec lui. Si cette réponse ne te plait pas, dictes-m'en une autre, je suis ta servante. Mon coeur est tout à toi. Je suis maintenant rejetée par ma famille comme un Paria: on ne m'écrit point, on ne me donne pas signe de vie. À la vérité, je n'ai jamais tenté de rompre ce silence qui, à tout prendre, est préférable aux reproches. Je n'écris plus à ma cousine parceque son mari l'aura sans doute informée de l'avenu. Il a dit au mien qu'il le priait de croire que sa femme ignorait complètement ce qui se passait dans mon coeur, et qu'elle n'avait point coopéré à ma perte. Tout cela est fort beau: moi aussi, j'aime la vertu, j'ai lutté long-temps parceque je voulais être vertueuse, et pour cela je souhaitais faire un mariage d'inclination; même après avoir contracté un lien où l'amour n'était pour rien, je n'aurais certainement pas dévié si... si... Mais tout cela est trop long à dire; je devais t'aimer, et ma retenue, mes efforts constans pour ne point succomber devaient, je crois, rendre plus violente, plus vraie la passion que tu m'as inspirée. Car, crois-le, Camille, je n'ai aimé que toi, je me suis faite illusion, j'ai raisonné, je me suis dit: j'aime, j'ai cherché à me le persuader. Mais pour toi, une lueur éclatante m'a éblouie; j'ai tout oublié, moi d'abord, et seul, seul, tu as absorbé toutes mes pensées. Plus de raisonnemens, plus de calculs, plus de devoirs de reconnaissance, plus de lois de la bienséance, plus de famille. Oh Dieu - oui j'ai encore songé à ma famille immédiatement après toi - plus de ménagemens à garder, ma vie n'est rien, ma réputation rien, je n'ai plus connu que Camille, je ne connais plus que lui, je suis sur la mauvaise route, dira-t-on. Soit. Mais moi je sens que mon unique but dans la vie c'est de t'aimer, ce but ce n'est point moi qui me l'ai assigné; il faut plier la tête et se taire quand une puissance supérieure agit sur des êtres aussi faibles que l'est ta Nina.
      Je suis for[cée de] m'interrompre; le dîner est ser[vi] C'est aujourd'hui Dimanche, et je crois qu'il faudra mettre les lettres à la poste tout à l'heure, si l'on veut qu'elles partent demain; je n'ai donc que peu de temps à passer encore avec toi. Il y a un mois, j'étais à Vinadio, sans lettres, triste, inquiète, ma position actuelle est beaucoup plus supportable, et dans un mois encore où en serons-nous? Ah, si Camille était ici alors! Et le temps passera toujours, et il emportera tout avec lui: pas l'amour, n'est-ce pas? Oh Dieu, si l'on oubliait un jour ce qu'on aime, si on ne pouvait l'emporter avec soi, oh la terrible chose. Mais non, on dit que le phénix renaît de ses cendres. Il est bien plus vrai que l'amour survivra à toutes les mutations que notre nature est condamnée à subir. Adieu, âme de ma vie.
      Il est sûr que tu dessines, et j'ai été assez sotte pour ne pas te le demander! Envoie-moi donc un dessin, ou tout au moins un plan de fortifications.

divisore
Nomi citati:
M.me Guasco, Nina.
Toponimi citati:
Voltri, Vaudier, Vinadio.

Allegati