LUG
29
1834

Giustiniani, Anna, n. Schiaffino a Cavour, Camillo Benso di 1834-07-29 #1380


Mittente:
Giustiniani, Anna, n. Schiaffino.
Destinatario:
Cavour, Camillo Benso di.
Data:
29 Luglio 1834.

                                                                                                         Voltri, 29 Juillet 1834
      Ta lettre m'est parvenue hier; elle m'a causé une joie bien vive; après sept jours que je t'avais quitté, c'était la première fois que je t'entendais m'adresser des paroles de consolation et d'amour.
      Ô Camille, que j'en avais besoin! Mes parens ont vu Mr. G[iustiniani] dimanche à Gênes, ils veulent lui persuader de me traiter avec rigueur, de me dicter les lettres qu'il me permet de t'écrire; enfin de me considérer comme atteinte d'aliénation mentale. Heureusement il a été trop avant pour reculer: j'ai l'air de me reposer entièrement sur sa parole, de ne plus mettre en doute ce qui a été une fois résolu; et je sens que ma raison est assez affermie pour ne point se troubler de ce qu'on ose m'accuser de l'avoir entièrement perdue.
      T'aimer avec passion, n'est point une folie, te voir, t'écrire ou mourir, n'est point une folie; être irrévocablement décidée à rompre avec la vie plutôt que te laisser douter de mon amour, n'est point une folie. Et voilà les seuls signes sur lesquels ils ont prononcé que mes facultés mentales s'étaient obscurcies. Je les plains: ils ne savent point comprendre l'amour.
      Ô Camille, que ne puis-je me jeter aux pieds de ta mère! Lui exprimer tout ce que le tendre intérêt qu'elle me témoigne m'inspire de reconnaissance, de respect, d'amour! O n'est-ce pas qu'elle excuse un égarement (nom qu'on donnera dans le monde à l'amour le plus saint que mon coeur puisse ressentir) un excès de passion dont Camille, son Camille est l'objet? Elle prend pitié de moi, elle ne me repousse pas comme les autres, elle ne me croit pas folle, elle! Et moi qui osais à peine te prononcer son nom, craignant qu'elle ne réprouvât notre liaison, qu'elle ne maudît l'instant où, poussée par une force au-dessus de moi, j'avais troublé la tranquillité de son fils! Je me trompais: qu'il est doux de voir détruire de telles erreurs, et que c'est rare aussi! Enfin, j'étais forte, inébranlable dans ma résolution, ma fermeté ne pouvait plus s'accroître. Mais mon coeur avait besoin de consolations et l'amitié de ta mère m'en procure une bien grande; je ne suis donc pas rejetée par tout le monde; et c'est ta mère, ta mère, ô Camille, celle qui t'aime, te connaît, t'apprécie, celle qui te donna la vie, celle à qui je dois les seules heures fortunées que j'ai passées dans ce monde, c'est elle qui me plaint, qui m'aime, qui s'attendrit sur mon sort! Il n'est pas si à plaindre.
      Après ce que je t'ai écrit, tu ne me parleras plus de tes promesses; elles n'ont de valeur qu'autant qu'elles ont été faites en pleine connaissance de cause. Je te les rends, je n'en veux pas. Soutiens-moi encore dans le trajet qui me reste à parcourir, et vois-moi tomber sans que ta chute suive la mienne. Camille tu auras beaucoup fait pour moi, mon âme te restera toujours, parcequ'elle ne pourrait être à d'autres, parcequ'il est dans sa nature de remonter vers toi. Mais tu dois remplir les jours qui t'ont été destinés, tu dois vivre autant que Dieu te laisse sur la terre.
      J'ai parlé de toi à Alberti parcequ'il connaissait déjà la scène qui s'est passée dans la loge de ma mère. Il m'a dit qu'il désirait bien te connaître, et il m'a annoncé sa visite pour tous les dimanches dans l'après dîner. C'est une personne sûre, que je connais depuis longues années, et sur la discrétion de qui je puis entièrement compter. Tu sais que ma cousine l'appelait la Crême quand elle était encore demoiselle. Je bornerai là mes confidences; je veux être prudente pour me conformer aux intentions de Mr. G. et pour tâcher de lui complaire. Espérons, qu'à son tour, il ne voudra pas dévier de la route qu'il s'est lui-même tracée.
      Je vis ici en solitaire; je n'ai vu qu'A[lberti] une fois, deux ou trois prêtres dont la société offre peu d'agrémens, et mes parens lors de leur visite. Ma santé se soutient sans être florissante.
      Je pense à toi, à toute heure. Je lis King John; j'ai fait pause lorsque lady Constance dit qu'elle n'est pas folle; j'ai trouvé tant de rapport entre ce qu'elle dit et ce que je pense que j'en ai été frappée et que j'étais, je crois, prête à m'écrier: I am not mad. I feel too well the different plague of each calamity. Mais surtout je sens trop combien je t'aime, combien ce sentiment m'élève, me donne de force et de courage pour tout braver plutôt que souffrir qu'on m'empêche de te le faire toujours connaître. Je sens trop que, seule avec ton [amour] je puis me repaître de plus de bonheur que le monde entier ne saurait [en] contenir.
      Aimer, c'est le but de mon existence, mais aimer avec force, aimer comme je t'aime, m'abîmer dans ton amour. Voilà Nina, voilà ta Nina. Tu la connais à présent. Elle a peut-être perdu le prestige qui lui valait ton amour .... Amour, amour, sentiment qu'on ne peut éteindre et qu'on ne saurait rallumer. Mais tu l'aimes. Ah! Dis-le-lui, du moins, ménage-la encore, et, s'il le faut, cache-lui la vérité.

divisore
Nomi citati:
Mr. G[iustiniani], Alberti, Mr. G., Nina, ta mère, ma mère, A[lberti], lady Constance.
Toponimi citati:
Voltri, Gênes.

Allegati