GEN
16
1830

Cavour, Camillo Benso di a Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de 1830-01-16 #1321


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de.
Data:
16 Gennaio 1830.

                                                                                                       16 janvier 1830

    Mon cher oncle,
    Je ne vous ai pas encore écrit depuis la nouvelle année, mais dans cette occasion les lettres qu'on écrit portent un tel cachet de compliment et de fard que je n'ai pu me résoudre à suivre avec vous un usage inventé pour donner le change, le plus souvent, sur les véritables sentimens, ou tout au moins pour confondre dans un même moule les véritables affections et les liaisons formées par les convenances sociales. J'espère cependant que vous ne douterez pas que les vœux que je fais pour votre bonheur et celui de toute votre famille soient moins ardens, parce que je ne vous les ai pas exprimés suivant le formulaire ordinaire.
    La nouvelle année a assez bien commencé pour nous; tout le monde se porte bien chez nous. Ma tante Henriette a surtout singulièrement gagné, elle a retrouvé son aimable gaîté et son esprit, que les douleurs prolongées qu'elle avait souffertes avaient un peu obscurci. D'Auzers est le seul qui ne soit pas très bien, son humeur est plus sombre que jamais, souvent il passe des journées entières sans proférer une seule parole; le malheureux, accoutumé aux seules jouissances de l'amour-propre, avait fondé tout son bonheur sur une haute amitié; elle lui a été retirée en grande partie et il s'est trouvé comme isolé au milieu de personnes, qui cependant compatissent à ses maux, sans toutefois en approuver la cause.
    Si j'étais ultra, l'exemple seul de d'Auzers suffirait pour me faire renoncer à ces doctrines funestes au genre humain et surtout à ceux qui les professent. Pauvre d'Auzers, rien de ce qui est noble et généreux en politique n'est plus capable de l'émouvoir! Les fureurs de la Gazette entretiennent le fiel amer de son âme, et les menaces des ministres font seules palpiter son cœur. Quelle triste existence!
    J'ai lu dernièrement avec bien du plaisir l'énumération des progrès de l'esprit humain dans l'an de grâce 1829; oui, l'esprit humain est en marche, et malgré les vains efforts des ignorants et des méchants il continue à avancer d'un pas ferme. J'espère et surtout je désire vivement que cette année soit encore plus féconde que la dernière. Il y a bien des causes qui se débattent. Dieu veuille faire triompher la raison et les lumières.
    Le sort des Grecs m'intéresse surtout; je n'attache pas une grande importance aux souvenirs classiques en eux-mêmes. Mais si à ces souvenirs s'unissent tous les avantages de la civilisation moderne, ils peuvent influer puissamment pour ramener à des doctrines plus saines les fougueux partisans de l'antiquité. Si la Grèce parvient à jouir d'un gouvernement sage et par conséquent à devenir une nation florissante, combien de personnes ne voudront-elles pas aller visiter les lieux où se sont passés ces fameux événements qui occupent le monde depuis deux mille ans? La Grèce, flambeau avancé de la civilisation, sera un phare qui jettera quelques lumières dans les mers de ténèbres qui couvrent l'Orient; et de plus ses reflets rejailliront utilement sur l'Occident et surtout sur la triste Italie. Les affaires ont marché au gré de mes vœux en Orient et en Occident. La Grèce est libre du joug musulman et l'Amérique a repoussé la malencontreuse expédition espagnole. Mais nous, marcherons-nous, ou serons-nous refoulés par Polignac et consorts au bon vieux temps? J'espère beaucoup de la sagesse et de l'énergie des Chambres, des progrès de l'esprit public, de la diffusion des lumières. Mais je crains également la faiblesse du roi, l'entêtement du dauphin, la fureur des ultras, la sainte horreur des prêtres et la bassesse des ventrus. Les ministres actuels peuvent faire bien du mal à la France, et par conséquent à l'Europe, mais du mal quelquefois résulte un bien. Si on parvient à éloigner ces ministres, il sera bien prouvé que les ultras sont incorrigibles et que les paroles mielleuses de Mr de Martignac ne suffisent plus à la France, mais qu'il faut de belles et bonnes garanties qui nous préservent des aristocrates et des congrégandistes.
    Je ne sais pas encore positivement le lieu de ma destination ce printems et cet été, mais très probablement j'irai à Gênes. On dit le séjour de cette ville très agréable.
    Veuillez, je vous prie, dire bien des choses de ma part à ma tante Cécile et à mes cousines. Croyez à l'inaltérable affection de
                                                                                   votre dévoué neveu Camille de Cavour

divisore
Nomi citati:
Jean-Jacques de Sellon d'Allaman, cher oncle, Henriette, D'Auzers, Gazette, Polignac, dauphin, Mr de Martignac, dauphin, tante Cécile.
Toponimi citati:
Italie, Grèce, Amérique, France, Gênes, Europe.

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