APR
4
1828

Cavour, Camillo Benso di a Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de 1828-04-04 #1295


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de.
Data:
04 Aprile 1828.

                                                                                                                 Turin, 4 avril 1828

    Mon cher oncle,
    Vous êtes bien bon de vouloir que je ne perde pas l'habitude de vous écrire; mais je n'ai pas besoin d'être excité pour faire ce qui est si doux à mon cœur; je désire trop de ne pas perdre l'affection que vous m'avez  témoignée, pour ne pas chercher à me rappeler de tems en tems à votre souvenir.
    Vous avez bien raison de m'écrire dernièrement que la passion du jeu est terrible et peut nuire plus qu'aucune autre à un jeune homme; je le sais car j'ai joué un peu, sans cependant m'y livrer avec passion, et j'ai remarqué que le jeu vous donne une excitation, une crispation, qui nuit aux occupations ordinaires et à la tranquillité; mais, tout en convenant avec vous sur les dangers du jeu, permettez-moi de vous dire que je ne crois pas que la danse ou telle autre occupation de société soit un remède sans danger. D'abord je vous observerai qu'à dix-huit ans on ne garde guère la modération dans ce que l'on fait; ainsi, si je me donnais beaucoup à la danse et à la société, il serait bien difficile dans un pais où les dames sont assez galantes, que je ne m'attache pas à quelques-unes des beautés qui se disputent l'adoration des jeunes gens, et je crois qu'alors il me serait encore plus difficile de me modérer qu'à quelque partie que ce soit. Si j'étais à Genève, où le meilleur ton règne dans la société, où l'on rencontre partout des gens éclairés et instruits avec lesquels on peut causer de choses solides et s'instruire en conversant avec eux, alors vous me verriez fréquenter la société et m'y amuser beaucoup. Mais à Turin, où il faut être en garde à tous momens pour ne pas tomber, où l'on ne rencontre que des personnes qui ne vous parlent que du théâtre, ou le plus souvent de la chronique scandaleuse de la ville, je ne connais pas de chose au monde plus ennuyeuse que la société, à moins que l'on ne fasse la cour à une dame; et il me paraît que ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de se tenir retiré autant qu'on le peut, sans blesser aucune convenance sociale.
    Je vous en prie, mon cher oncle, de continuer à m'illuminer de vos conseils, et de me permettre de vous soumettre quelques réflexions de tems en tems, car c'est le plus grand service que vous pouvez me rendre que de m'avertir sur les dangers qui m'entourent, et autant qu'on est bien plus porté à croire les personnes qui pensent à peu près comme vous sur tous les points importants que ceux dont les opinions vous révoltent. Les conseils de l'absolutiste d'Auzers ne me font pas la centième partie de l'effet que produisent ceux d'un philanthrope éclairé comme vous.
    Veuillez, je vous prie, me rappeler au souvenir de ma bonne tante et des mes cousines, croyez-moi pour toujours
                                                                                                     votre dévoué neveu

divisore
Nomi citati:
Jean-Jacques de Sellon d'Allaman, cher oncle, Auzers, tante.
Toponimi citati:
Turin, Genève.

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