GEN
23
1860

Cavour, Camillo Benso di a Des Ambrois, Luigi 1860-01-23 #3940


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Des Ambrois, Luigi.
Data:
23 Gennaio 1860.

                                                                                                           Turin 23 janvier 1860

      Monsieur le Ministre,
      Je profite du départ du prince Latour d'Auvergne pour Paris pour commencer ma correspondance particulière avec Votre Excellence.
      Les habitudes de publicité, qu'à l'exemple de l'Angleterre, se sont introduites dans tous les pays constitutionnels rendent nécessaire qu'à côté de la correspondance officielle et même de la correspondance confidentielle, les ministres entretiennent avec leur Gouvernement une correspondance particulière, destinée à n'être jamais publiée, ni même communiquée à de nouveaux ministres.
      V.E. peut compter que par ce moyen je l'informerai de tout ce qu'il est bon qu'elle connaisse sur les hommes et sur les choses; de mon côté, j'espère qu'elle voudra bien me renseigner sur les faits les plus confidentiels, avec la certitude qu'ils seront maintenus secrets, maintenant et dans l'avenir.
      Je ne vous entretiendrai pas sur les causes qui ont amené la chute du ministère Rattazzi.
      La cause véritable c'est qu'il ne pouvait plus marcher. Composé d'éléments hétérogènes; n'ayant pas de principes fixes; donnant un jour tout à fait à gauche, pour se tourner le lendemain vers l'extrême droite; il avait perdu toute force morale, toute considération, tout prestige. Le parti libéral, représenté par l'immense majorité des députés de l'ancienne Chambre, avait fini par prendre à son égard une attitude décidément hostile; et le parti extrême, représenté à Turin par Brofferio et Sineo, et à Milan par des républicains plus ou moins convertis, ne disposait pas de forces suffisantes pour lui fournir l'appui dont il avait besoin. La cause occasionnelle de sa chute a été mon refus d'accepter la mission extraordinaire qui m'était offerte, si on ne prenait pas de mesures pour la prompte convocation des Chambres. J'appellais cette mesure prompte si elle pouvait avoir lieu dans le mois de mars. Vous voyez que je n'étais pas exigeant. Mr Rattazzi soutenait pouvoir achever les opérations prescrites pour la formation des listes électorales avant le 20 de mars, sans modifier les lois en vigueur. Je soutenais que si ces opérations ne devaient commencer qu'après la nomination de tous les syndics, elles ne seraient pas achevées avant la fin d'avril. Les hommes ayant quelque expérience des affaires administratives jugeront lequel des deux, Mr Rattazzi ou moi, avait raison sur ce point de fait. Il prétendait que le ministère pouvait, en 5 jours, choisir et nommer 6 ou 7000 syndics; je soutenais que pour cela il fallait un mois et peut-être 50 jours. Je ne pense pas que ceux qui n'ont pas foi aux miracles me donnent tort.
      Les négociations, auxquelles la discussion du point que je viens de tracer a donné lieu, ont été compliquées par un incident, dont les amis des anciens ministres ont cherché à tirer parti de la manière la plus perfide.
      Décidé à repartir pour Leri à 5 heures du soir, j'ai été à 3 heures faire mes adieux Hudson. Celui-ci me prit à partie pour m'engager à ne pas insister sur les conditions que j'avais mises au concours que le ministère réclamait de moi. Pour la première fois depuis ma sortie du pouvoir, il me blâma ouvertement. Au milieu de notre discussion arrive Solaroli, les lois communales et électorales sous le bras, envoyé par Rattazzi à Hudson pour lui expliquer les motifs qui l'avaient engagé à repousser mes conditions. Solaroli se joint à Hudson pour obtenir une concession de ma part. De guerre lasse, je finis par céder en déclarant que si Rattazzi parvient à persuader à Cassinis que, d'après son système, les élections pourraient avoir lieu en mars, je n'aurai plus d'objection à accéder aux instances du ministère.
      Le bon Solaroli, qui ne se fie guère à sa mémoire, et peut-être encore moins à son intelligence, insista pour que cette déclaration fût mise par écrit. Fatigué et irrité, je refusais de le faire; alors Hudson, qui avait la plume à la main, me dit: eh bien! dictez-le moi. Et sur ce, il traça sur un chiffon de papier quelques lignes, que la Perseveranza a rapportées.
      Les ministres ont transformé ce chiffon en une note de l'Angleterre; et l'intervention d'Hudson en leur faveur en une pression exercée pour les faire tomber.
      Dans cette circonstance, il n'y a eu qu'une seule pression, celle de l'opinion publique: qui certes se serait soulevée avec une violence, irrésistible, lorsqu'on aurait su que le ministère se refusait à hâter la réunion du Parlement, par des moyens, qui, s'ils n'étaient pas parfaitement légaux, étaient parfaitement légitimes.
      Le nouveau ministère se trouve dans une position fort difficile. Je ne vous parle pas de l'intérieur où tout est désordre et confusion. Mais seulement de la question extérieure.
      Tant qu'il a été question du congrès, l'Italie centrale a compris qu'il fallait prendre patience et attendre tranquillement les décisions de l'Europe. Mais maintenant que le congrès a disparu, les esprits sont devenus inquiets et impatients. L'incertitude où il se trouvent replongés est un état intolérable. D'un autre côté, la brochure et la lettre de l'Empereur, l'alliance anglaise, les encouragements de la presse européenne ont excité et excitent les espérances de l'Italie au plus haut degré. Mais avec l'espérance, l'impatience croît aussi. Ainsi deux forces diverses mais irrésistibles poussent les italiens vers l'union. Il ne s'agit plus que de concerter les moyens pour l'amener. Dans ce but je pense qu'une course à Paris et à Londres pourrait être utile, quand ce ne serait que pour mettre d'accord sur des détails d'exécution l'Empereur et Lord John Russell.
      Je ne puis toutefois songer à ce voyage, sans être certain, que non seulement il ne contrariera pas les gouvernements anglais et français, mais qu'il entre dans leurs vues.
      Quant à l'Angleterre, je n'ai guère de doutes à cet égard, car Lord John a manifesté, à plusieurs reprises, le désir de causer avec moi, et je ne pense pas que la nouvelle position que j'occupe le rende moins vif.
      Mais pour ce qui est de la France, j'avoue que je suis dans une grande incertitude. Mr de Talleyrand, m'a répété qu'il était certain que l'Empereur me verrait volontiers. Cela ne me suffit pas; car je ne suis pas certain que l'Empereur ait fait connaître sa pensée à son nouveau ministre. Je vous serai en conséquence fort obligé, si vous pourrez vous procurer à cet égard des renseignements certains. Si les moyens de communication directe avec l'Empereur vous manquent, je pourrais alors écrire moi-même au docteur Conneau, qui m'a déjà servi bien des fois d'intermédiaire.
      Mais je ne veux pas m'adresser à l'Empereur avant que vous ayez sondé Mr de Thouvenel. Je crois que le nouveau ministre n'est pas disposé à jouer la comédie comme le ferait Walewski. Il ne voudra pas qu'on fasse de la politique par dessus sa tête. Aussi je crois qu'il faut dès l'abord agir avec lui avec la plus grande franchise.
      Il vous sera facile de vous assurer s'il désire ou non me voir à Paris. Dans le premier cas vous ou moi nous interpellerons l'Empereur, ou nous le ferons interpeller par Mr de Thouvenel lui-même ce qui vaudra mieux.
      J'attends avec impatience des informations précises de votre part.
      Je ne vous parlerai pas aujourd'hui de la question de la Savoie. Je me borne pour le moment à vous prier d'user de la plus grande réserve, sans témoigner ni inquiétude ni préoccupation. La seule chose qui me paraisse à faire, c'est de s'opposer à toute idée de cession à la Suisse; car ce serait là un contrat de dupe, où il y aurait tout à perdre et rien à gagner.
      Recevez, Mr le Ministre, la nouvelle assurance de ma haute considération et parfait dévouement.
                                                                                                                  C. Cavour

      P.S. - Je reçois à l'instant l'expédition que vous avez confiée a Mr Passera.
      Je vous remercie de votre lettre particulière. Quant à ce qui vous regarde, vous pouvez être certain, que juste appréciateur des services éminents que vous avez rendus au pays, je ferai tout ce qui dépend de moi pour concilier vos convenances avec les intérêts du pays.
      Votre présence à Paris peut être encore nécessaire pendant quelque temps. Toutefois si le marquis [Alfieri] persistait à se retirer de la vie publique, je ne doute pas que le Roi ne vous appelât à présider le Sénat.
      Croyez-vous dans ce cas que le choix d'Arese ou celui d'Azeglio seraient agréables à l'Empereur?

divisore
Nomi citati:
Des Ambrois, Latour d'Auvergne, Walewski, Conneau, de Talleyrand, Perseveranza, Thouvenel, Alfieri, Solaroli, Hudson, Arese, d'Azeglio, Cassinis, Rattazzi, Brofferio, Sineo, Empereur, Roi, Passera, Roi, Lord John, Lord John Russell.
Toponimi citati:
Turin, Paris, Milan, Italie, Londres, Europe, Angleterre, Leri, France, Savoie, Suisse.

Allegati