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1830

Cavour, Camillo Benso di a Cavour, Michele Benso di 1830-12-02 #1330


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Cavour, Michele Benso di.
Data:
02 Dicembre 1830.

                                                                                                         Gênes, 2 décembre 1830

    Mon cher papa,
    Ce matin les deux courriers Bianco et Baral m'ont apporté votre lettre du 27. Les pauvres diables sont désolés d'être obligés de servir, ils voudraient obtenir un congé de réserve, mais je crois la chose impossible, vu qu'ils n'ont fait chacun qu'un contingent et que dans ce moment-ci on est plutôt disposé à appeler de nouvelles recrues sous les armes, qu'à mettre en réserve les soldats en activité. Nonobstant, j'en parlerai à Pictet, leur major, et pour le moins je les lui recommanderai.
    Vous êtes bien bon d'avoir pensé à moi le jour de la naissance d'Auguste; et de ne pas oublier les anciennes générations pour les nouvelles. Quoique je sois assez partisan du mouvement, je ne suis pas disposé à être mis de côté par mes successeurs. J'espère qu'Auguste vivra dans des tems plus calmes; dans dix-huit ans la grande crise qui commence touchera à sa fin, et l'Europe appartiendra décidément à un des grands principes qui sont maintenant en présence. Il ne faut pas se dissimuler que d'ici là de grands événemens auront lieu, de grandes catastrophes arriveront.
    Les armements de la Russie, de la Prusse et de l'Autriche ont fait craindre la guerre et amené la chute des fonds. Je crois cependant que les cours du nord étaient enhardies par mylord Duc et que sa chute modérera un tant soit peu leur ardeur guerrière. A mon avis la guerre ne peut convenir qu'à la France, car elle a pour elle tous les peuples de l'Europe, et dans ce siècle ce ne sont pas les armées, mais les peuples qui font la guerre.
    J'ai vu le duc de Laval-Montmorency; je lui prête même mes Galignani, il a été consterné de la chute de Wellington. Il m'a raconté une anecdote qui prouve que le roi soutenait l'ancien ministère de tout son pouvoir. Lors de son couronnement, le roi d'Angleterre donna un grand dîner, auquel assistaient tout le corps diplomatique et le ministère; au dessert le roi se leva et dit: «Je suis heureux de voir ici le corps diplomatique réuni, pour témoigner à la face de l'Europe que je soutiendrai de tout mon pouvoir l'administration du plus grand homme que l'Angleterre ait eu depuis Marlborough». C'est donc la force des choses qui ont fait prévaloir malgré le roi et l'aristocratie les principes libéraux dans l'administration de l'Angleterre. Le duc Laval croit la guerre inévitable, mais aussi il est persuadé que rien ne résistera aux Français, vu l'état d'exaspération de la plupart des nations, surtout en Allemagne et en Italie.
    En attendant la guerre qui se fera ou ne se fera pas, Mr de Barante a été reçu par le roi, je ne sais aucun détail sur l'entrevue. La reine Marie Thérèse l'a aussi reçu, mais là on m'a dit que la réception n'avait pas été longue, dans trois minutes les deux célèbres personnages se sont dit toutes les douceurs dont ils étaient capables. Ce siècle réunit souvent sous le même toit les personnes les plus opposées et offre les plus frappants contrastes. Gênes en offre un exemple dans ce moment. Dans le même hôtel de Londres habitent trois personnes qu'on peut envisager comme des représentans des trois grands systèmes qui se combattent à outrance en Europe. Mr de Barante représentant les idées nouvelles, les principes constitutionnels; Paolucci qui résume le système militaire, le gouvernement du glaive; enfin le duc de Laval qui nous représente le système aristocratique, dans toute sa noblesse. Ce serait un plaisant spectacle de les voir dînant ensemble à une table ronde.
    A force de tentatives infructueuses j'ai fini par trouver la duchesse Dalberg. Je ne l'ai pas trouvée bien changée, elle a toujours une physionomie douce et animée. Elle m'a beaucoup parlé de vous, de mon oncle d'Auzers, en un mot de toute la famille. Elle voudrait savoir si Mme Tosco a reçu une de ses lettres. Sa fille, sans être jolie, n'a pas tenu tout ce qu'elle promettait.
    Rorà est arrivé avant hier et a commencé hier son ennuyeux service: nous avons dîné ensemble chez Mrs De la Rüe. Il m'a chargé de bien des choses pour vous et la ca';. Saint-George doit vous avoir mandé que l'autorisation que la marquise Lascaris demandait a été accordée. Il vous aura aussi certainement écrit sur la ligne de conduite que l'on tient vis-à-vis du marquis, sur la fureur de légalité et sur les dangers que cela pourrait avoir. Vous êtes à même de bien juger la question; aussi j'espère que l'on suivra en tout vos avis, car quelquefois les femmes par crainte font bien des faux pas.
    Je ne sais absolument rien quant à l'époque de mon retour à Turin, mais, quoique je sois on ne peut mieux ici sous bien des rapports, je ne peux y rester sans péril. L'irritation des ultras est à son comble, on ne parle que par menace; étant sur tous les registres de la police, je cours ici les plus grands [risques]. Dans ce siècle il n'y a que les personnes fermes et conséquentes qui obtiennent du crédit, quel que soit le parti auquel elles appartiennent; je ne puis en conscience avec mes opinions continuer à servir; je risquerais de me trouver dans de bien mauvaises positions.
    Je m'occuperai avec bien de plaisir à l'agriculture: je crois avoir quelque aptitude pour administrer; je ne me suis jamais embarrassé de rien depuis que je vis. En outre m'étant adonné aux sciences économiques et morales, des notions théoriques et pratiques sur l'agriculture me seront de la plus grande utilité. J'ai l'esprit assez souple, et crois savoir assez m'adapter à toutes les positions. La seule chose que je ne pourrais envisager sans frémir, ce serait une vie parfaitement oisive ou uniquement spéculative. J'ai besoin d'employer non seulement mes facultés intellectuelles, mais aussi mes facultés morales.
    Je finis ma longue épître en vous priant de me rappeler au souvenir de tout le monde.
                                                                         Votre très obéissant et affectionné fils
                                                                                         Camille de Cavour

divisore
Nomi citati:
cher papa, Bianco, Baral, Paolucci, sa fille, Pictet, Wellington, duchesse Dalberg, roi d'Angleterre, Auguste, Marlborough, duc de Laval-Montmorency, Mr de Barante, duc de Laval, Galignani, Marie Thérèse, marquise Lascaris, roi, Rorà, d'Auzers, Saint-George.
Toponimi citati:
Gênes, Allemagne, Italie, Russie, Prusse, Autriche, France, Europe, Angleterre, Turin.

Allegati