APR
10
1834

Cavour, Camillo Benso di a Cavour, Adele Benso di, n. de Sellon d'Allaman 1834-04-10 #1356


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Cavour, Adele Benso di, n. de Sellon d'Allaman.
Data:
10 Aprile 1834.

                                                                                                   Grinzane, 10 avril 1834
      Ma chère maman,
      Vous êtes bien bonne de m'avoir mis aussi exactement au courant des nouvelles du monde et de notre famille que vous l'avez fait par votre excellente lettre, dont je vous remercie infiniment. Je ne me plains pas de n'avoir rien gagné avec mes quatorze billets, puisque deux des plus beaux lots sont entrés dans la maison. Vu la quantité énorme de billets qui ont été distribués, c'est à peine si nous pouvions nous flatter d'avoir entre tous un billet gagnant. Ainsi je suis enchanté que le sort ait réuni toutes nos chances sur vous pour vous traiter avec une faveur toute particulière.
      Je savais déjà par la lettre de papa, que ma tante Victoire était de nouveau au lit avec de la fièvre; je suis bien fâché que ce triste état se prolonge, il est fort ennuyeux pour elle, et il influe d'une manière tout à fait fâcheuse sur l'humeur de mon oncle, qui ne peut pas concevoir que tout le monde ne jouisse pas d'une aussi bonne santé que la sienne. J'espère que le doucereux Tarella viendra à bout bientôt de cette petite maladie, sans recourir de nouveau à la lancette, dont il me paraît que ma tante a usé bien fréquemment cet hiver. D'après la manière dont vous me parlez de l'application de sangsues que s'est fait faire Marina, je vois que cela a été une simple précaution, qui ne vous donne aucune inquiétude; j'espère la trouver tout à fait bien à mon retour. Mais après m'avoir parlé de tout le monde, vous avez tout à fait oublié de me donner des nouvelles de ce qui m'intéressait le plus, et vous ne me dites pas un mot de votre santé; cependant à mon départ vous n'étiez pas tout à fait bien, et le tems disgracieux qu'il n'a cessé de faire depuis lors me fait craindre que vous n'ayez pas fait de grands progrès en mieux. Je vous supplie de réparer cet oubli la première fois que vous serez assez bonne pour m'écrire.
      La fin de ce pauvre d'Entraive est bien triste. La Providence par une juste disposition a voulu forcer cet homme, qui toute sa vie a reculé devant la moindre pensée sérieuse, à assister avec toutes ses facultés au long et douloureux spectacle de sa mort. D'Entraive est un triste exemple des suites funestes d'une disposition à l'originalité non combattue; disposition que le monde s'est plu dans ses commencements à fomenter, comme au reste il fait toujours pour ce qui lui procure un amusement d'un moment. Dans de certaines limites un homme gagne en agrément à une certaine teinte d'originalité, surtout si cette originalité affecte spécialement l'esprit. Mais si on ne la retient pas dans des bornes sévères, elle envahit le cœur, fausse le caractère et finit par pousser jusqu'à l'ouverte violation des lois de la décence et des devoirs sociaux: comme cela a été le cas de d'Entraive.
      La retraite du duc de Broglie m'a affligé plus qu'elle ne m'a surpris. Louis-Philippe ne l'a jamais beaucoup aimé comme ministre; il le supportait plutôt qu'il ne le préférait, et son caractère austère et rigide le rendait peu commode et agréable à ses compagnons de pouvoir et à ses amis, qui croient que le premier devoir d'un ministre est de favoriser tout ce qui l'entoure ou tient à lui par les liens du sang ou de l'amitié. Le cabinet des Tuileries perd dans le duc de Broglie l'homme qui le relevait le plus aux yeux de l'Europe et de la France. Au reste le moment de la grande crise est passé, nous sommes maintenant dans une ornière, qu'il nous faut suivre, et dont les hommes d'état, quels qu'il soient, ne parviendront pas à nous tirer de sitôt.
      A propos de politique, je suis curieux de savoir ce que le roi de Naples s'est décidé à faire. Va-t-il à Paris malgré toutes les remontrances des archiducs autrichiens? S'en retourne-t-il chez lui? Son frère épouse-t-il Mlle d'Orléans ou ne l'épouse-t-il pas? Il me paraît qu'à l'heure qu'il est toutes ces questions doivent être résolues, et qu'on doit en être instruit à Turin. Je serais vraiment dans le plus grand embarras, si Jean venait à m'être enlevé; je ne sais pas en vérité ce que je ferais. Il est en ce moment tout seul pour faire aller les affaires et le moment des grands travaux approche. C'est pour cela que je prie papa, au risque de l'ennuyer, de solliciter du ministre et de son colonel, qui par un heureux hasard se trouve à Turin, sa libération. Je ne crois pas que ce soit une faveur bien grande et je la demande sans scrupule, car mon homme a trente et un ans achevés, et il n'y a qu'en Russie où on n'est pas libéré de tout service militaire à cet âge-là.
      J'ai été bien aise de faire un contrat avec Vittoria; elle a acheté cinq chars de vin, ce qui fait qu'elle doit un peu plus de trois cents francs, qu'elle payera à notre passage à Vaudier. Ce sera un fond pour les dépenses des bains et ce sera peut-être le premier argent que vous aurez reçu depuis votre acquisition de Raviole. Rappelez-moi au souvenir de toute la famille et croyez-moi à jamais
                                                                                    votre très obéissant et dévoué fils
                                                                                                 Camille de Cavour

divisore
Nomi citati:
maman, tante Victoire, papa, duc de Broglie, mon oncle, Tarella, ma tante , Marina, d'Entraive, Louis-Philippe, roi de Naples, cabinet des Tuileries, Mlle d'Orléans, Jean, son frère, Vittoria.
Toponimi citati:
Grinzane, Europe, France, Paris, Turin, Vaudier, Russie, Raviole.

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