OTT
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1832

Cavour, Camillo Benso di a Barolo, Juliette Falletti di, n. Colbert de Maulévrier 1832-10-02 #1341


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Barolo, Juliette Falletti di, n. Colbert de Maulévrier.
Data:
02 Ottobre 1832.

                                                                                                   Turin, 2 octobre 1832

      Madame,
      Ce n'est que hier, à mon retour de Grinzane, que la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire m'a été remise. Il m'a été impossible de ne pas éprouver, en la lisant, une vive douleur, et aussi, permettez-moi de vous le dire, un sincère étonnement. J'ai avec conscience refait l'examen de l'état moral dans lequel je me trouvais lorsque je vous ai écrit cette triste lettre, qui a eu le malheur de vous faire de la peine; et je vous assure que, loin de retrouver un principe quelconque d'irritation, je n'ai aperçu pour vous que les sentimens qui m'animent toujours, l'affection la plus vraie, une profonde estime, et surtout la plus vive reconnaissance pour les mille preuves d'amitié que vous n'avez jamais cessé de donner, parmi lesquelles je place au premier rang la généreuse tolérance que de tout tems, et plus particulièrement dans des circonstances pénibles pour vous, vous avez accordée à mes opinions. Comment, Madame, pourrais-je jamais être irrité contre vous, qui êtes la seule personne, professant d'autres principes que les miens, qui m'ait continuellement donné des marques d'un vif intérêt pour tous les petits chagrins que ceux-ci me fesaient éprouver?
      Pour être irrité contre vous, il faudrait que je fusse un fou, un sot ou un ingrat; et certes je ne crois être rien de tout cela; il me reste assez d'intelligence pour apprécier tout ce que votre manière d'agir en matière politique avec moi a d'aimable et de bon, et assez de cœur pour en être vivement reconnaissant. Je vous supplie donc, Madame, de vous persuader que, quelle qu'ait pu être ma pensée en vous écrivant, l'idée d'irritation n'existait pas en moi, et celle de vous faire de la peine ne pouvait se présenter devant mon esprit, car elle m'aurait fait horreur. Mais pour tâcher de vous le prouver, autant qu'il m'est possible, je vais vous exposer sans détour, quel était mon état moral, lorsque je vous ai écrit ce que je croyais n'être tout simplement que d'assez plates plaisanteries sur mes fonctions syndicales, et mon nouvel état d'humilité. Lorsqu'on se jette tout jeune dans le monde et la politique, et qu'on y apporte un cœur neuf, et un esprit orgueilleux, il n'est pas étonnant qu'on se livre aux plus décevantes illusions de vanité, de célébrité, de gloire, d'ambition, et de que sais-je d'autre encore. J'ai donné pour ma part pleinement là-dedans, et je vous avouerai au risque de vous faire longtems rire de moi, qu'il y a eu un tems où je ne croyais rien au-dessus de mes forces, où j'aurais cru tout naturel de me réveiller un beau matin ministre dirigeant du royaume d'Italie. La tension violente, que l'état pénible où je me suis longtems trouvé avait fait éprouver à mes sentimens, a puissamment contribué à entretenir cette illusion chez moi, plus longtems que de raison n'était; mais privé dans des momens difficiles des appuis ordinaires qui nous soutiennent au début de notre vie, l'aide d'un orgueil surexcité m'était indispensable pour ne pas faiblir.
      Il y avait un tel absurde dans mes illusions qu'il a bien fallu les abandonner dès que je me suis trouvé un mois de suite dans une position un peu calme. Je ne nierai pas que cette destruction d'une série d'idées qui m'avaient été chères longtems, ne m'ait causé assez de peine, mais à présent c'est à peu près fini, seulement de tems en tems quelques souvenirs mal effacés me donnent un peu d'humeur; mais comme je suis un peu moqueur, que le que soit ma mauvaise humeur, je finis toujours par me moquer de moi-même, et du ridicule que présentent les illusions de jeunesse. Il est vrai que mon syndicat m'a un tant soit peu tracassé, par le sot contraste que je ne pouvais m'empêcher de faire, entre ce que je suis et ce que croyais devoir être. Mais dans le moment que je vous écrivais, je vous assure, que ce qui dominait chez-moi, c'était un besoin de me moquer de moi-même. Il s'est bien tristement manifesté ce besoin de plaisanterie, puisqu'il a pu me faire faire une chose qui vous a causé de la peine. Il me serait dorénavant odieux, et je le bannirais de mon esprit, si je n'espérais que ma confession franche et sincère ne m'obtiendra votre pardon, et n'effacera de votre esprit la mauvaise impression, que des phrases que j'ai sottement construites, et qui réveillaient d'autres idées que celles que j'y attachais, ont produite.
      En attendant que je puisse aller plaider verbalement ma cause à la vigne, agréez, Madame, l'assurance des sentimens de dévouement et d'affection que je n'ai cessé d'entretenir pour vous, et qui n'ont jamais, je vous assure, été obscurcis par la moindre phase d'irritation.
                                                                                       Votre très obéissant serviteur
                                                                                                      Camille

divisore
Nomi citati:
Juliette Colbert de Maulévrier Falletti di Barolo, Madame.
Toponimi citati:
Turin, Grinzane, Italie.

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