LUG
23
1834

23 luglio 1834 - 23 luglio 1834


Diario:
1834.

      Me voici de retour à Vaudier. Maman a été bien bonne pour moi; elle m'a questionné avec beaucoup d'intérêt sur ce qui m'était arrivé; je ne lui ai rien caché. Comme elle m'avait prié de lui laisser voir une de ses lettres, je lui ai fait voir celle qu'elle m'a écrite de Démonte. Pauvre maman, elle a pleuré à chaudes larmes; que je lui en ai su gré de ces larmes. Je désirerais bien qu'elle pu connaître ma Nina, je suis sûr qu'elle l'aimerait. Sa douceur parfaite s'accorderait si bien avec son caractère, et puis elles savent aimer toutes deux. Nina est peut-être plus passionnée, mais Maman est tout aussi tendre. Oh! ce sont les deux seules femmes dignes d'être adorées que je connaisse. Il n'y en a point comme elles dans ce monde.
 
      J'ai reçu une lettre de Cassio, qui m'annonce dans des termes polis et froids qu'il part pour aller faire un voyage en Suisse et en France, en m'exprimant le regret de ne pas m'avoir pour compagnon. C'est Mr Rossetti de Nice qui l'accompagne. J'ai eu un tort réel envers lui, en ne tenant pas la parole que je lui avais donnée, d'aller voyager en Italie avec lui l'hiver dernier, ainsi je n'ai nul droit de me plaindre; sa conduite est parfaitement honorable. Cependant ce n'est pas sans un vif regret et un sentiment douloureux d'amertume que je me vois obligé de consigner ici les preuves de l'affaiblissement d'une amitié que j'aurais crue à l'abri de tous les événemens. Au reste, tout a été dit, lors de cette fameuse phrase, qui a déchiré le bandeau qui me fesait encore illusion. «Si ce n'est trois, ce sera deux». Consumatus est.
      Dieu, en me donnant la plus tendre des amies, a voulu me retirer l'affection de celui que je croyais le plus constant des humains. Je ne saurais me plaindre. Au reste, Cassio me sera toujours cher. S'il ne veut plus être mon meilleur ami, il conservera toujours, je l'espère, un souvenir animé de la liaison qui a duré si longtems entre nous.
 
      Que nous montrent la plupart des conversions célèbres dans l'histoire? Une intelligence affaiblie par l'âge, accablée par le doute, flétrie par la négation, avide de recevoir la doctrine qui affirme le plus haut. [...] Benjamin Constant, dominé par un sentiment religieux qu'il constate comme historien, qu'il proclame comme philosophe, ne fait rien de plus que sa raison ne le force de faire; il est religieux, mais sa religion est toute entière dans lui-même. Elle ne revêt ni forme, ni symbole en dehors de son for intérieur; elle est sans dogmes. À la vérité, il reconnaît cet élément sous toutes les formes que d'autres lui ont données; mais c'est pour cela qu'entre toutes les formes, il n'y a pour lui qu'une supériorité relative. Cette supériorité, il la proclame où il la rencontre, et le théisme reçoit de sa part les plus purs hommages; mais que le théisme soit la forme absolue, le symbole parfait, le dernier mot de la raison divine ou humaine, Benjamin Constant ne le dit nulle part, parce qu'il ne l'a jamais pensé.
 
      «La révélation peut très bien se concilier avec ce système; la succession des formes religieuses ne conduit pas à la nier. Dieu peut présenter à l'homme la révélation d'une manière surnaturelle et l'en affranchir d'une manière surnaturelle».
 
      «Oui, sans doute, il y a une révélation; mais cette révélation est universelle, elle est permanente, elle a sa source dans le cœur humain».
 
      «Que sont les dogmes? La rédaction des notions conçues par l'homme sur la divinité. Quand ces notions s'épurent, les dogmes doivent changer. Que sont les rites et les pratiques? Des conventions, supposées nécessaires au commerce des être mortels avec la divinité. L'anthro[po]morphisme sert de base à cette idée».
 
      Ainsi, tout symbole est bon pour un tems; mais le sentiment religieux représenté par le symbole ou par le signe est seul éternel, et tout ce qui est passager devient mauvais en voulant changer de nature, devenir permanent. Avec cette prétention à la perpétuité commence l'erreur d'une situation stationnaire, c'est-à-dire que là commence la lutte entre le progrès et l'immobilité, entre la vie de la pensée et la mort du symbole.
                                                                                        MATTER, introduction au Polythéisme
                                                                                               romain
, de BENJAMIN CONSTANT

      Par quel renversement singulier d'idées le recours innocent et naturel d'un être malheureux à des êtres secourables a-t-il quelquefois excité la haine, au lieu de provoquer la sympathie qu'il semble appeler?
      Qui oserait, en jetant un regard sur la carrière qui nous est tracée, déclarer ce recours inutile ou superflu? Les causes de nos douleurs sont nombreuses. L'autorité peut nous poursuivre, le mensonge nous calomnier. Les liens d'une société toute factice nous blessent. La destinée nous frappe dans ce que nous chérissons. La vieillesse s'avance vers nous, époque sombre et solennelle, où les objets s'obscurcissent et semblent se retirer et où je ne sais quoi de sombre et de terne se répand sur tout ce qui nous entoure. Nous cherchons partout des consolations, et presque toutes nos consolations sont religieuses. Lorsque le monde nous abandonne, nous formons une alliance au-delà du monde. Lorsque les hommes nous persécutent, nous nous créons un appel par-delà les hommes. Lorsque nous voyons s'évanouir nos illusions les plus chéries, la justice, la liberté, la patrie, nous nous flattons qu'il existe quelque part un être qui nous saura gré d'avoir été fidèles, malgré notre siècle, à la justice, à la liberté, à la patrie. Quand nous regrettons un objet aimé, nous jetons un pont sur l'abîme et le traversons par la pensée. Enfin, lorsque la vie nous échappe, nous nous élançons vers une autre vie. Ainsi, la religion est la compagne fidèle, l'ingénieuse et infatigable amie de l'infortuné. Celui qui regarde comme des erreurs toutes ces espérances, devrait, ce me semble, être plus profondément ému que tout autre de ce concours universel de tous les êtres souffrans, de ces demandes de la douleur s'élevant vers un ciel d'airain de tous les points de la terre, pour rester sans réponse, et de l'illusion secourable qui nous transmet comme une réponse le bruit confus de tant de prières répétées au loin dans les airs.
                                                                                                                  BENJAMIN CONSTANT

divisore
Nomi citati:
Maman, Nina, Cassio, Rossetti, Benjamin Constant, Matter.
Toponimi citati:
Vaudier, Démonte, France, Suisse, Nice, Italie.

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