NOV
27
1859

Marliani, Emanuele a Cavour, Camillo Benso di 1859-11-27 #3789


Mittente:
Marliani, Emanuele.
Destinatario:
Cavour, Camillo Benso di.
Data:
27 Novembre 1859.

                                                                                                   Bologne 27 novembre 1859

      Mon cher Comte,
      Si ce n'était pas le besoin de me rappeler à votre bon souvenir si précieux pour moi, ce serait encore le devoir de vous instruire de l'état des choses ici, qui me fairait [sic] une nécessité de vous écrire.
      La miraculeuse abnégation que chacun a fait de ses opinions et des ses aspirations pour ne pas créer des embarras au Gouvernement, cela déplait au parti d'un mouvement plus accéléré, l'espèce d'atonie dont a été frappé le parti rétrograde, ont produit un sorte de trêve, qui a permis aux hommes appelés à diriger la machine gouvernementale de lui donner cette impulsion qu'ils ont jugé convenable. Ont-ils bien jugé? Il est permis d'en douter, si l'on doit en juger par les résultats obtenus et par la force morale dont ils disponent.
      Tant et qu'aussi longtemps que les espérances plus ou moins fondées que les uns et les autres ont conçues, le calme à la surface s'est admirablement conservé, et je crois qu'on s'est fait d'étranges illusions sur le fond des choses; mais à mesure que les événements ont marché et que chaque oracle venant de la Sybille de Cumes a rendu plus problématique l'avenir de ce pays-ci le bouillonement des bas fonds de la société qui ne ferment pas les yeux pour ne pas voir.
      La connaissance du fameux traité de Zurich où tout est mis en question et qu'on en revient à la niaise et odieuse pensée de réformes pour les Romagnes, doit avoir une fatale influence sur les esprits trop longtemps contenus, et par une de ces funestes déviations du sens logique, au lieu de redoubler les sacrifices d'abnégation et rester imperturbables dans la voie de l'ordre seul ancre de salut, il est plus que probable qu'on croira faire preuve de patriotisme en faisant un appel aux passions violentes, on croira enflammer le courage civique par la défense du pays, par des proclamations et des écrits incendiaires et on ne fera que jeter le pays dans une horrible perturbation d'idées diamétralement opposées à les véritables intérêts.
      Le Gouvernement qui n'a pas su être ni fort ni logique ni énergique pour mettre à la raison le parti clérical dans ses quelques écarts publics, le sera mille fois moins contre les passions ardentes qu'on ne tardera pas à exploiter; changer les hommes qui sont au timon des affaires ne serait pas un remède bien efficace, car malgré leur dévouement, leurs bonnes intentions, à coup sûr ils n'ont pas élevé bien haut le principe d'autorité, je crains au contraire qu'il ne soit tombé bien bas dans leurs mains, leurs successeurs trouveraient les choses dans cet état, je les suppose animés d'une énergie qui a manqueé à leurs devanciers; aujourd'hui sur quoi s'appuieront-ils pour faire respecter le principe d'autorité qui s'éteint faute de tout exercice? Sur la force morale? on l'a usé en pure perte; sur la force matérielle? où est-elle? Nous avons bien des hommes sous les armes, mais il n'y a rien qui ressemble à une force armée au service de l'ordre public et je crains bien qu'une partie passerait au service du désordre public.
      On a commis la grande faute d'appeler ici le général Garibaldi, qui est, dit-on, le plus honnête homme de la terre, et je l'accepte pour tel, et pour le plus brillant général d'avant garde, mais nous n'avions pas d'ennemis à combattre, nous avions une force armée à organiser, et j'ai la conviction que Garibaldi et tous son entourage mus de plus pures passions patriotiques, sont un élément puissant de désorganisation, ne connaissant, n'admettant pour eux et pour les autres ni discipline ni hiérarchie: autant leurs services auraient été brillants, si on avait pu aller attaquer les Suisses de Pesaro, autant je redoute leur coopération, si l'ordre public venait à être troublé, car dès et déjà ils ont donné plus d'une preuve qu'ils savent au besoin franchir toutes les barrières de la subordination et du respect au principe de l'autorité même militaire.
      Donnez-moi une force militaire réelle et toutes mes appréhensions cessent, car je sais ce que valent tous les matamores de rues, mais cette force compacte, ferme, disciplinée, n'existe pas et alors ces mêmes hommes sont bien à craindre, car ce n'est que la force qui peut les contenir, et par un miracle providentiel jusqu'à présent ils n'ont pas voulu faire parade de la leur, mais je crains bien que si l'état actuel se prolonge, si les nouvelles qui viendront du dehors tournent encore sur le pivot des réformes qu'il ne survienne un changement douloureux dans notre position, et alors on parlera et on en viendra aux interventions. Je ne peux pas oublier le mot d'un grand ennemi de l'Italie à mon dernier voyage à Paris nos n'avons plus d'espoir que dans les excès.
      Vous savez l'insuccès de ma mission à Florence, mon projet y échoua et le vôtre aussi. Mais, cher Comte, avez vous bien apprécié en son temps les vœux de la Toscane dans leur véritable sens et acception? Avez vous jamais cru que les Toscans voulaient devenir piémontais ou sardes, et que la Toscane voulait devenir province piémontaise. Si vous avez pu le croire, vous avez cru la chose la plus contraire à la vérité que je connaisse. Jamais un grand jamais, ils n'accepteront cet abandon d'eux mêmes, et dans tout ce qu'ils ont dit et écrit, je vous défie d'y trouver ces trois mots: annexion, Piémont, Sardaigne. Ils veulent faire partie d un royaume fort sous le sceptre de Victor-Emmanuel, mais devenir piémontais ou sardes, jamais, et le rejet de mon projet d'une assemblée générale des quatre états émancipés n'a eu qu'une seule origine, tout simple et naturelle, c'est que Modène, Parme, et les Romagnes ont exprimé la volonté d'être annexées au Piémont, et là on n'a fait qu'exprimer un ferme vœu de faire partie d'un royaume fort constitutionnel sous le sceptre de Victor-Emmanuel.
      Nous voulions donc deux choses complètement distinctes, et nous étions 284 députés contre 164 Toscans, majorité 120 pour l'annexion pure et simple que la Toscane ne veut pas, voilà tout. Ce qu'on a dit, était un masque et un masque bien sot.
      J'ai voulu, mon cher Comte, vous dire ce que personne ne vous dira. J'ai cru que vous deviez savoir la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, telle au moins qu'elle m'apparaît. Tant mieux si je me trompe, quand on voit un danger il faut donner le qui vive.
      Agréez, cher Comte, l'hommage de ma reconnaisance pour toutes vos bontés, et l'assurance d'un dévouement sans bornes.
                                                                                                         Emmanuel Marliani

divisore
Nomi citati:
Emanuele Marliani, Garibaldi, Victor-Emmanuel.
Toponimi citati:
Bologne, Cumes, Zurich, Romagnes, Pesaro, Italie, Paris, Florence, Toscane, Piémont, Sardaigne, Modène, Parme.

Allegati