LUG
31
1834

Giustiniani, Anna, n. Schiaffino a Cavour, Camillo Benso di 1834-07-31 #1381


Mittente:
Giustiniani, Anna, n. Schiaffino.
Destinatario:
Cavour, Camillo Benso di.
Data:
31 Luglio 1834.

                                                                                           Voltri, 31 Juillet 1834
      Camille que j'adore! ta seconde lettre m'arrive à l'instant. Oh quel bonheur de recevoir de tes lettres! je t'avouerai cependant que je craindrai un instant d'ouvrir celle qui répondra aux dernières que je t'ai écrites. Mon coeur est cependant soulagé d'un grand poids: tu le connais, tu peux mieux le juger depuis que toutes les fautes de ma vie ont paru à tes yeux. Camille tu es aimé, comme tu m'aimes. Verrai-je quelque changement dans ces expressions si tendres, si brûlantes qui me raniment, me charment, me mettent hors de moi? Oh, Dieu! j'ai bien lieu de le craindre, Camille, pitié, miséricorde! Camille, m'aimeras-tu encore de même quand tu sauras ... quant à l'avenir, je ne saurais te faire des protestations de fidélité, de constance, il n'y a point de mots qui expriment la certitude où je suis que mon âme ne cessera jamais de t'appartenir; aucune pensée étrangère à Camille ne m'occupera un instant.
      La personne qui t'a troublé un instant est toujours à Gênes, à ce que m'a dit un monsieur âgé qui est ici au moment où j'écris: Mr. J. B. Giustiniani. Elle a été fort malade, elle a changé de maison, et pendant sa maladie Mr. Brignole Sale, sa femme et sa fille voulaient la faire changer de religion. Il est plus que probable que je ne la verrai point à Voltri, tu sais ce dont nous sommes convenus, si je serai obligée de lui écrire. Vis tranquille, je t'aime trop pour rien faire jamais qui puisse te déplaire le moins du monde, tu le crois, mon ami, tu en es sûr, n'est-ce pas? moi je ne doute pas de toi. Oh que je t'aime, que je t'aime! Je lis parfaitement ton écriture, sans me fatiguer: ajoute des pages, si tu veux, mais ne grossis pas tes lettres: c'est moi qui suis toujours obligée, grâce à mes caractères penchés et à l'espace immense que je laisse entre les lignes, à dire peux de chose dans des volumes. N'importe, si j'écris lentement, ma pensée se guinde comme mon écriture, il faut que ma plume s'en empare avec la plus grande rapidité possible.
      Mes parens gardent leur contenance fière, ils n'en doivent pas changer: mais je tremble que mon mari qui va à Gênes deux fois par semaine et qui toujours dîne chez eux ne cède enfin à leurs conseils, nous aurions alors raison de nous plaindre; cependant il vient de me voir écrire et il a souri en me donnant ma qualification ordinaire de folle. Oui, folle, folle! Suis-je donc folle parceque je t'adore? Ô bienheureuse folie, douce folie tu ne me quitteras jamais! jamais, non jamais.
      Je n'ose pourtant pas encore parler de t'engager à venir; cependant comme c'est un point convenu, et qu'il t'a lui-même invité, je lui dirai dans quelque temps que je souhaite te voir. Et alors, qu'on dise ce qu'on veut, je suis avec toi, et alors ... le monde n'existe plus pour moi. Nina se jette dans tes bras, comme dans son asile assuré; là personne n'a de prise sur moi: c'est là que je voudrais vivre et mourir.
      Mon ami, tu te fais illusion: je gribouille un peu, mais je n'ai nul talent pour dessiner. Ma maison est dans une rue; un jardin très petit la sépare de la mer. Le site n'est point pittoresque du tout, je t'assure. Pour ne point me dispenser, comme une paresseuse, de t'en-voyer quelque ouvrage de ma façon, je tâcherai de joindre à cette lettre une petite découpure, mais je ne te le promets pas, parceque je me fatigue les yeux facilement. Je voulais représenter la scène du jardin dans Juliette et Roméo; je sais que tu l'aimes, que tu en as transcrit un passage sur ce fameux billet que je t'écrivis dans un accès de démence, ou plutôt qui me fut dicté par l'ange qui me protège. Bonsoir, mon Camille, je vais rejoindre mon hôte, et le faire lire à haute voix jusqu'à l'heure où j'irai me coucher. Je me jette dans tes bras: ah tu ne me repousseras pas d'une place où je trouve tant de bonheur!

divisore
Nomi citati:
Mr. Brignole Sale, Mr. J. B. Giustiniani, Juliette et Roméo, mon mari, Nina.
Toponimi citati:
Voltri, Gênes.

Allegati