MAG
10
1834

Cavour, Camillo Benso di a Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de 1834-05-10 #1357


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de.
Data:
10 Maggio 1834.

                                                                                                      Turin, 10 mai 1834
      Mon cher oncle, Je suis fâché de ne pouvoir pas répondre comme je le voudrais à la dernière lettre que vous m'avez écrite, dans laquelle vous me demandiez s'il ne serait pas possible d'obtenir des fragments inédits de Pellico, de Manzoni et de Mr de Barante. Je crois la chose, sinon impossible, du moins extrêmement difficile. En voici les raisons.
      D'abord je n'ai aucun moyen de m'adresser à Manzoni; Mr d'Azeglio, seule personne qui soit en relation avec lui, m'est tout à fait étranger, et je ne saurais avoir aucun rapport avec lui, il est trop méprisable à mes yeux. De violent libéral et de carbonaro déclaré qu'il était, il s'est fait le plus plat et le plus dégoûtant courtisan du monde; il a échangé sans honte les insignes de chef de loge pour une clef de chambellan, et cette honteuse transformation s'est opérée chez lui sans ménagement aucun, ni d'autre raison plausible, que son intérêt personnel pur et simple. Vous ne me conseillerez certainement pas d'aller requérir un service d'un tel personnage.
      Quant à Mr de Barante, c'est autre chose; il est si bon pour moi que je ne crains pas de lui demander quelque service que ce soit; mais il y a une autre difficulté. Ses opinions sur l'inviolabilité de la vie de l'homme ne sont pas tout à fait conformes aux vôtres; il ne refuse pas à la société le droit de vie et de mort dans de certains cas et sous de certaines conditions; et il ne condamne pas comme illégitime toute espèce de guerre, même celles qui ont un caractère offensif. Cela étant, comment lui demander un fragment qui pût convenir au but que vous vous êtes proposé? Vous me parlez bien aussi de la question de l'influence des femmes sur la civilisation future; magnifique sujet et digne d'exercer le beau talent de Mr de Barante. Mais il y a bien des difficultés pour le mari d'une femme très belle, et le père de plusieurs jeunes filles. Des idées, fort justes en théorie, mal interprétées, pourraient être pour lui la source de nombreux ennuis. Cette crainte, peut-être exagérée, m'a retenu jusqu'ici et m'a empêché de lui adresser la demande que vous m'avez chargé de lui faire.
      Reste Pellico, et ici s'élève une question toute de délicatesse. Pellico est dans une position de fortune telle qu'il a besoin du produit de ses ouvrages pour vivre. Sa famille n'a aucune fortune et n'a d'autre ressource que les modiques appointements de son père, qui a un petit emploi dans l'administration de la dette publique. Il tâche donc de lui être à charge le moins possible; pour cela il n'a que le fruit qu'il retire de ses travaux littéraires, auxquels il consacre toutes les forces que lui laisse son peu de santé. Dans cet état, lui demander un ouvrage inédit, à titre inédit, me paraît chose peu convenable. Il a fait, il est vrai, pour la loterie des fous une nouvelle, mais c'était une entreprise entièrement nationale; presque tous les littérateurs et les artistes du pays y avaient contribué pour quelque chose, et il y aurait eu de l'indélicatesse de sa part à ne pas faire comme tous les autres. Les mêmes considérations n'existent pas pour ce que vous voulez que je lui demande. D'ailleurs je vous dirai franchement que je crois une question de haute philosophie, soit rationnelle, soit morale, au-dessus des moyens de Pellico. Son âme douce et tendre ne s'est jamais élevée jusqu'à la hauteur de ces grands problèmes, dont vous voudriez qu'il hâtât la mystérieuse solution.
      Gustave est bien de santé; mais il continue à être abattu et concentré. Il concentre toute son existence dans l'éducation de son fils; cet intérêt lui suffit; il a la consolation de voir que son fils fait des progrès au physique et même au moral, il commence à lui donner quelques leçons et cela l'occupe agréablement. Du reste il est toujours aussi bon, aussi parfait qu'il l'a toujours été.
      Nous sommes fort occupés des fêtes que la ville de Turin donne pour célébrer l'anniversaire du retour de la Maison de Savoie dans ses États. Elles commencent dimanche et dureront toute la semaine prochaine. Papa, qui en a été le principal moteur, et qui en a la haute direction, se donne beaucoup de peines et de mouvement. J'espère pour lui qu'elles réussiront.
      Le gouvernement vient de contracter un emprunt avec Mr Agreman de Paris . . . . trente millions; les conditions sont superbes et font le plus grand honneur à . . . finances. En effet ce sont les plus belles de l'Europe; quand nous aurions . . . . ministres quatre fois plus imbéciles que ceux qui nous gouvernent, ils ne parviendraient pas encore à nous ruiner.
      Maman a eu pendant longtems une fluxion à la joue qui l'a beaucoup tracassée; maintenant elle est mieux.
      Le reste de la famille est bien. Je vous prie de dire bien des choses à ma tante et à mes cousines et de me croire à jamais
                                                                          votre très affectionné et dévoué neveu
                                                                                        Camille de Cavour

divisore
Nomi citati:
Jean-Jacques de Sellon d'Allaman, cher oncle, Pellico, Manzoni, Mr de Barante, Maman, Mr d'Azeglio, Gustave, Papa, ma tante, Mr Agreman, son fils, Maison de Savoie.
Toponimi citati:
Turin, Europe, Paris.

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