Cavour, Camillo Benso di a Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de 1828-12-16 #1304
- Mittente:
- Cavour, Camillo Benso di.
- Destinatario:
- Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de.
- Data:
- 16 Dicembre 1828.
16 décembre 1828
Mon cher oncle,
Votre aimable lettre m'a fait le plus vif plaisir. Tout ce qui me rappelle des parents qui me sont chers, et qui ont eu tant de bontés pour moi, me procure une véritable joie, d'autant plus grande que je suis maintenant séparé de toute ma famille et que tout ce qui réveille en moi des sentiments si chers, agit plus vivement sur mon cœur.
Je partage pleinement votre opinion sur le malheur des guerres; mais cependant vous conviendrez que le meilleur moyen de les éviter, c'est de s'y préparer, et de présenter un appareil imposant de défense aux ennemis qui seraient tentés de menacer notre pays. Si vous voulez la paix, préparez-vous à la guerre, a été un adage répété de tout temps, et dont la vérité n'a jamais été plus reconnue que dans ces tems-ci. Les officiers du génie, qui s'efforcent de rendre les abords d'un État plus redoutables, coopèrent à empêcher ou, du moins, à retarder les guerres, en offrant un plus grand nombre de difficultés à vaincre à quiconque serait disposé de les entreprendre. Sous ce point de vue ils doivent bien mériter de l'humanité. Les places fortes, dit Carnot, sont seules éminemment conservatrices, tandis que tous les autres moyens de la guerre tendent à détruire. Je crois que ce grand officier avait raison. Il n'y a nul doute qu'il y aurait un incomparable avantage à jouir d'une paix perpétuelle, au milieu des bienfaits d'une civilisation naissante; tous les efforts des philanthropes généreux et des vrais citoyens doivent tendre à ce but. Mais malheureusement nous vivons au milieu des partisans de l'ignorance, de l'absolutisme et de la barbarie. Si les défenseurs de la civilisation désarmaient pour ne point grever les peuples, les barbares du nord, et les sicaires de M... auraient bientôt profité de la confiance des honnêtes gens, et l'Europe serait replongée dans les ténèbres dont tant de maux n'ont pas suffi pour la retirer entièrement.
Quant à l'instruction particulière que je retire de mes travaux à Vintimille, je ne la crois pas immense. Il n'y a d'instruction vraiment utile que celle qui doit servir au but qu'on s'est proposé; les plans que je lève me seraient infiniment utiles, si je comptais passer ma vie dans le génie; mais comme j'espère qu'il en sera tout autrement, je ne vois pas à quoi me servira tout ce que je suis censé apprendre dans mon métier. Il est vrai qu'on peut tirer parti de tout, que l'application des études qu'on a faites, quelle que soit la matière sur laquelle elle roule, ouvre l'esprit, et développe l'entendément en nous accoutumant à savoir utiliser la théorie par rapport à la pratique. Sous ce point de vue, je suis charmé de m'occuper des choses positives, même à Vintimille, qui est le plus pauvre païs de l'Europe, [plutôt] que de perdre à peu près mon temps au bureau du génie à Turin, où l'on ne fait à peu près rien.
Grâce à mon frère je reçois les gazettes et me trouve ainsi au courant de tout ce qui se passe dans le monde politique. L'année qui va commencer doit être bien intéressante sous le rapport moral; en France les deux partis vont se porter des coups décisifs, et il est probable que les restes impurs de l'administration Villèle, de la faction contre-révolutionnaire, seront complètement battus par les vrais défenseurs de la civilisation. La marche de la France entraînera avec elle toute l'Europe, et décidera en grande partie de son sort. Le Piémont surtout est sous l'influence morale de la France, et l'opinion dominante au delà des Alpes ne peut manquer de gagner insensiblement le Piémont. En observant attentivement on s'en apperçoit tous les jours.
Je voudrais bien pouvoir vous procurer les documents que vous désirez par rapport au comte de Montfort; et à peine je serai de retour que je m'occuperai de suite de les rechercher. Malheureusement je ne pourrai vous satisfaire de sitôt, car mon séjour à Vintimille se prolongera bien avant dans l'hiver.
Veuillez me rappeler au souvenir de ma chère tante Cécile et faire mille amitiés de ma part à mes aimables cousines.
Croyez au sincère attachement de
votre très humble et obéissant neveu
Camille de Cavour
- Nomi citati:
- cher oncle, Carnot, frère, Villèle, comte de Montfort, tante Cécile.
- Toponimi citati:
- Vintimille, Europe, Turin, France, Piémont, Alpes.