GIU
16
1828

Cavour, Camillo Benso di a Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de 1828-06-16 #1296


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Sellon d'Allaman, Jean-Jacques de.
Data:
16 Giugno 1828.

                                                                                                                   16 juin 1828

      Mon cher oncle,
      J'ai vu avec grand plaisir que la cause pour laquelle vous combattez, qui est celle de l'humanité et de la civilisation, a fait de grands progrès; on ne peut tout obtenir à la fois, et l'on ne peut se flatter de faire changer totalement d'opinion des personnes qui ont été élevées et qui ont vécu sous l'empire des préjugés jusqu'alors universellement reconnus, ni d'entraîner toutes les personnes nouvelles dans le sentier de la justice et de la raison. Mais lorsque la vérité peut se faire entendre, lorsqu'elle a d'éloquents interprètes, tous les jours elle fait des conquêtes, soit en ralliant de nombreuses troupes sous ses étendards, soit en gagnant quelques positions sur ses ennemis. Et comme en mécanique une force accélératrice qui agit constamment, comme la pesanteur, finit toujours par l'emporter, ainsi lorsque la voix de la raison n'est pas comprimée, et qu'elle peut librement se faire entendre, elle finit tôt ou tard par être universellement écoutée et suivie. C'est pour cela qu'on voit les personnes les plus éclairées s'élever contre la peine de mort ou, si du moins elles n'en réclament pas l'abolition totale, révoquer en doute son utilité et sa justice et appeler sur cette question vitale un profond examen.
      L'amendement de Mr Dupin, qui rejettait la peine de mort lorsqu'il y avait opposition entre une cour royale et la cour de cassation, a manqué de quelques voix. Je suis (sûr) qu'il y a quelques années, à peine l'aurait-on écouté. Mais ce qui peut contribuer plus puissamment que tout autre chose à l'adoucissement du code pénal, ce sont les efforts que font partout les vrais philanthropes pour répandre l'instruction populaire, qui est bien reculée en France, comme l'a si lumineusement prouvé Mr Charles Dupin dans son ouvrage sur les Forces productives de la France. Plus l'instruction se répand et plus les mœurs s'adoucissent et la peine de mort est repoussée avec horreur par une population éclairée.
      Je m'occupe principalement de l'étude des sciences mathématiques et mécaniques; car ce sont celles pour lesquelles j'ai le plus de disposition et d'aptitude. Je crois l'étude approfondie de l'histoire très bonne, je crois que les langues sont excessivement utiles. Mais il me paraît que si l'on veut se faire un nom, et sortir de la sphère de la médiocrité, il ne faut point diviser ses facultés en les appliquant à trop d'objets différents. Les rayons du soleil réunis par une lentille brûlent même le bois, tandis qu'éparpillés, répandus çà çt là, ils ne produisent aucun effet.
      Si je me trouvais dans d'autres circonstances, si je croyais qu'un jour, quelque reculé qu'il fût, je pusse m'employer utilement sans trahir ma manière de penser, alors je quitterais l'étude aride et fatigante du calcul pour me donner avec ardeur à un tout autre genre de travail. Mais je ne peux ni ne dois me faire aucune illusion, et pour ne point laisser improductifs les faibles moyens que Dieu m'a donnés, il me faut donner tout entier-aux sciences exactes, que je pourrai cultiver et appliquer en tout temps et en tout lieu.
      J'espère que le séjour d'Allaman aura fait du bien à ma bonne tante Cécile; veuillez, je vous en prie, (lui) dire un million de choses de ma part. Ne m'oubliez pas aussi auprès de mes cousines et croyez-moi à jamais
                                                                                                votre dévoué neveu
                                                                                                           Camille

divisore
Nomi citati:
Jean-Jacques de Sellon d'Allaman, cher oncle, Dupin, Charles Dupin, tante Cécile.
Toponimi citati:
France, Allaman.

Allegati