DIC
16
1833

Cavour, Camillo Benso di a Sellon d'Allaman, Cécile de, n. de Budé de Boisy 1833-12-16 #1352


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Sellon d'Allaman, Cécile de, n. de Budé de Boisy.
Data:
16 Dicembre 1833.

      … Mr Cellérier: les chalereuses exhortations du pasteur Vinet, et les touchants traités à l'usage du peuple publiés par la Société des livres pieux, m'ont profondément convaincu d'une chose: c'est que la vérité religieuse est d'un ordre tout différent que les vérités communes auxquelles peut parvenir l'esprit humain; et que par conséquent il est irrationnel de vouloir la constater par les mêmes moyens que l'on emploie dans les sciences physiques ou morales. La raison toute seule est donc à mon avis un guide défectueux et trompeur pour arriver à des convictions religieuses solides, il faut avoir recours à ce sentiment qui existe chez tout le monde, quoique à des degrés bien différens, qui nous porte à rechercher avec avidité, à établir des rapports directs avec la force inconnue qui régit l'univers et agit sur notre cœur. Le seul office auquel la raison puisse aspirer c'est de détruire les erreurs, les préjugés et les passions qui étouffent le sentiment religieux et l'empêchent de se développer suivant la nature. D'après cette déclaration vous ne serez pas …
      … les raisonnemens des vénérables pasteurs de votre église, n’ont qu'une faible prise sur mon esprit; leurs appels émouvants a l'amour divin et au sentiment religieux m'émeuvent profondément. Sur un seul point ma raison et mes sentiments se réunissent sans hésitation aucune pour repousser leur doctrine. C'est quant à la question de la grâce. Plus j'y réfléchis, plus je l'examine et plus je la trouve en opposition directe avec les lois de notre nature et les idées de justice générale qui doivent trouver leur application parfaite dans les rapports nécessaires du créateur avec ses créatures.
      D'après la confession entière que je viens de vous faire, vous devez concevoir l'état dans lequel la lecture des livres que vous m'avez donnés m'a laissé. Mes doutes sur la rigueur logique des preuves, dont on se sert pour établir certaines vérités religieuses, n'ont été nullement détruits, ni même ébranlés. Mais je me suis accoutumé à considérer l'action et le développement du sentiment religieux comme un devoir impérieux de notre nature, et je me suis convaincu que dans l'état actuel de l'humanité ce sentiment ne peut s'exercer d'une manière convenable pour les esprits les plus élevés comme pour les plus humbles que dans les larges voies du Christianisme. En cultivant cette disposition, arriverai-je peut-être avec le tems à des convictions plus précises et plus profondes? Je le désire et l'espère ardemment. Et si cela est, je le devrai en grande partie à la puissance de l'exemple, que vous donnez, du degré de perfection auquel une foi vive peut conduire.
      Gustave doit avoir écrit à mon oncle Sellon pour lui donner des détails sur les couches de sa femme, et lui annoncer le présent qu'elle lui a fait. Je me bornerai donc à vous dire qu'Adèle, après avoir été deux jours un peu souffrante, va beaucoup mieux ce matin. L'enfant est très bien. A vous dire vrai, j'aurais presque mieux aimé une fille. Dans l'état actuel de la famille, il est impossible qu'un enfant ne soit affreusement gâté, et je crois que la gâterie est moins funeste aux filles qu'aux garçons. D'ailleurs c'est ma belle-sœur qui se charge de l'éducation des filles, et je dois le dire à sa louange elle s'en acquitte bien, mais très bien pour Joséphine, qui jusqu'à présent est incomparablement mieux élevée qu'Auguste.
      Je vous prie de remercier infiniment la toujours aimable Amélie des peines qu'elle s'est données pour exécuter mes commissions de cartes, pastilles de menthe etc., et veuillez lui remettre ce petit billet ci-joint, qui contient une commission pour Mme Soupat, dont Gustave la prie. Dans ce monde on ne gagne, à être trop complaisant, que de rendre ses amis indiscrets. Il ne faut pas encore dire à Amélie cette triste maxime, elle l'apprendra toujours assez tôt par sa propre expérience.
      Adèle m'a répondu une fort jolie petite lettre, qui contenait force choses raisonnables, et que j'approuve fort, si ce n'est sa répugnance pour le voyage de Paris, parce qu'elle n'y trouvera pas une collection de bergères où s'étaler pour voir défiler devant ses yeux tout ce que la capitale contient de plus absurde.
      Je ne vous parle pas de mes projets, parce que je n'en ai pas. D'ailleurs je suis en quelque sorte retenu en Piémont par mes affaires agricoles qui se sont compliquées par le désordre et la mauvaise conduite de mon agent, homme de confiance de mon oncle, que j'ai dû sommairement mettre à la porte. Avec des cheveux gris et trois enfants, il s'avisait d'avoir des maîtresses. Et moi, qui ne badine pas sur la morale, je l'ai honteusement chassé.
      Ma tante Victoire a beaucoup gagné depuis son retour ici; elle s'est replongée plus avant que jamais parmi les ultras. Chez elle il n'est question que de Mmes du Cayla et Robilant, Mrs Lescarena et Truchsess. Et les contes bleus que lui font toutes ces personnes lui font supporter avec patience l'état politique actuel. En effet, ils ont toujours une illusion toute prête pour remplacer celle qui vient de s'évanouir. Un jour c'est Mr de Bourmont emportant Lisbonne d'assaut, un autre c'est don Carlos entrant dans Madrid, tantôt ce sont les fanfaronnades de Nicholas qui les tiennent en joie, et tantôt les finesses de Metternich. Enfin quand les ultras parviennent à se former un petit cercle, dont tout profane est exclu, ils trouvent toujours le moyen de se créer une atmosphère d'illusion, qui suffit à leur tranquillité. Je me garderais bien de vouloir la dissiper.
      J’ai été occupé tout ce tems-ci à soigner ce brave d'Haussonville qui a eu une fluxion de poitrine des plus violentes. Heureusement les moyens énergiques que les médecins ont employés ont triomphé de la maladie et maintenant il est si bien que je dîne aujourd'hui avec lui chez Mme de Barante. Il y a eu une chose bien plaisante dans le cours de la maladie. Lorsque le danger est devenu imminent, les médecins ont déclaré qu'il fallait faire venir un prêtre, et que le malade devait songer à remplir ses devoirs religieux. Comme Mr de Barante était absent, c'est moi qui ai été jugé le plus capable d'annoncer à d'Haussonville la nécessité de l'intervention du prêtre. Ne riez-vous en songeant que c'est moi qui ai fait confesser d'Haussonville? J'ai su lui amener quelqu'un qui avait du pliant dans l'esprit, qui ne l'a nullement chicané, et qui même, malgré son incrédulité catholique, a été si content du calme de son âme dans ce moment solennel, qu'il a été chanter ses éloges à toutes les douairières du quartier. Cela m'a fait une note excellente près de ma tante d'Auzers; depuis lors elle est excessivement tendre pour moi. Cependant ni d'Haussonville ni moi, n'avons mis aucune hypocrisie dans notre fait. Mais il y a tant de gens qui ne demandent pas mieux qu'à se contenter de l'apparence.
      Je vous prie de dire bien des choses à mon oncle, et à mes cousines.
                                                                                                        Votre dévoué neveu

divisore
Nomi citati:
Cellérier, Vinet, Gustave, mon oncle Sellon, sa femme, Adèle, belle-sœur, enfant, Auguste, Amélie, Adèle, Mme Soupat, d'Haussonville, mon oncle, ma tante d'Auzers, Mr de Barante, Mme de Barante, Mr de Bourmont, tante Victoire, Joséphine, Truchsess, Metternich, mon agent, mon oncle, Cayla, Lescarena, don Carlos, Robilant, Nicholas.
Toponimi citati:
Piémont, Lisbonne, Madrid, Paris.

Allegati