GEN
4
1834

Cavour, Camillo Benso di a Santarosa, Pietro De Rossi di 1834-01-04 #1353


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Santarosa, Pietro De Rossi di.
Data:
04 Gennaio 1834.

                                                                                                               Turin, 4 janvier 1834
      Cher ami,
      Tu connais peut-être déjà le malheur affreux qui a frappé notre famille. Ma belle-sœur a succombé à une longue et cruelle maladie. Sa force, sa jeunesse, les soins que nous lui avons prodigués n'ont servi qu'à prolonger ses souffrances. Elles ont été terribles. Dès le premier jour de sa maladie, elle n'a plus eu un moment de repos; le sang s'était porté à la tête et lui causait de cuisantes douleurs, qui après avoir augmenté ont fini par la jeter dans le délire et la frénésie. Ç'a été un affreux spectacle; imagine-toi que dans sa frénésie toute sa rancune pour son pauvre mari s'est montrée à découvert, elle l'a accablé d'injures et de reproches. Son délire s'est calmé, mais alors elle est tombée dans d'affreuses convulsions et spasmes nerveux qui ne l'ont plus quittée jusqu'à la mort. Pendant cinq jours elle a été à l'agonie, au point que cinq fois on lui a recommandé l'âme, et récité autour de son lit les terribles litanies des saints, et cinq fois elle a surmonté l'accès qu'on croyait devoir l'emporter. Le marquis Lascaris s'est conduit à merveille, absorbé par sa douleur, il n'a pas donné le champ à sa tête de lui faire faire des sottises; il n'a presque plus quitté le lit de sa fille, dès le moment qu'il a aperçu le danger, et, quoique lui-même accablé de chagrin, il trouvait des forces pour adresser de tems en tems à sa fille des exhortations chrétiennes qui déchiraient l'âme. Te figures-tu rien de plus lugubrement beau, que le spectacle qu'offrait le lit de mort de ma belle-sœur? Elle, plus belle que jamais, laissait voir sur ses traits l'empreinte de la mort, mêlée aux traces d'une douleur longtems comprimée; son père, avec sa figure admirable, se tenant dans la ruelle de son lit, penché sur le lit de sa fille, lui parlant de Dieu et de la vie à venir. La nature avait complètement repris le dessus; tous les griefs qu'il avait pu avoir envers sa fille il les avait oubliés, et sa douleur et son émotion étaient pures de toute arrière-pensée ou sentiment d'aigreur ou d'amertume.
      Il faut maintenant que je te parle de Gustave. Ce coup terrible l'a frappé plus encore que je ne m'y serais attendu; il en a été complètement atterré, mais comme il ne ressemble en rien aux autres hommes, sa douleur a pris une tournure toute particulière, qu'il est bon que tu connaisses, afin que les paroles de consolation que tu lui adresseras, soient rédigées dans ce sens. L'idée qui l'a de suite le plus préoccupé n'a pas ete sa séparation éternelle d'avec sa femme, non, cela l'a fort peu touché; mais ce qui a produit sur lui un effet prodigieux c'est la pensée que sa femme lui laissait en mourant des élémens de bonheur, trois enfans et de la fortune, tandis qu'elle n'avait connu dans cette vie que le malheur et les chagrins; et qu'elle lui imputait sa triste destinée. Il se roulait en pleurant sur sont lit, en s'écriant: «Elle n'a jamais été heureuse, et cependant elle était jeune, belle, riche et spirituelle; serais-je coupable de son malheur?». Et là-dessus il pleurait abondamment. Tu connais la puissance d'une idée sur Gustave: elle l'absorbe complètement. Sa douleur donc s'est concentrée sur le point que je viens de t'indiquer; ce sont presque des remords qu'il éprouve. Et cependant Dieu sait s'il y a jamais eu au monde d'intentions plus pures que celles de mon frère.
      Si tu lui écris, tâche de le rassurer. Mais prends garde de laisser apercevoir que je t'ai écrit à cet effet.
      Parlant maintenant uniquement de toi à moi, je ne peux te dissimuler que pour mon compte je ne regrette amèrement ma belle-sœur. Quels que fussent ses défauts, elle n'en était pas moins une personne distinguée, sortant du commun et capable des plus grandes choses; elle avait une fermeté et une énergie peu communes, et si l'éducation déplorable qu'elle avait reçue et la fausseté de la position sociale où elle s'est trouvée ne l'eussent pas faussée, certainement elle aurait été une femme et une mère excellente. Mais hélas! une triste vérité que nous pouvons nous dire, qui lui sert aussi d'excuse, c'est que jamais caractères n'ont été moins faits pour aller ensemble que celui d'Adèle et de Gustave. Leurs qualités mêmes se heurtaient et ne se convenaient pas, et je doute fort, que même dans une position sociale plus propice ils eussent jamais pu être heureux ensemble. Elle en était si bien persuadée, qu'elle n'a cessé d'[avouer] tout le tems de sa maladie, lors même que le danger était le plus grave, que pour elle son choix était fait, et qu'elle préférait cent fois mourir.
      J'ai cédé ma chambre à Gustave, il y est avec Auguste. A propos de celui-ci, il annonce de grands projets de réforme, de fermeté. Dieu veuille qu'il les tienne, et qu'il soit encore à tems, car tu ne peux pas te faire une idée de l'état pitoyable dans lequel ce pauvre enfant est réduit. Les médecins cependant disent qu'avec une réforme radicale dans son régime moral et physique, il y a encore de l'espoir. Je le désire plus que je ne l’espère.
      Adieu
                                                                                                         Tout à toi
                                                                                                   Camille de Cavour.

      Pellico a fait l'article nécrologique que nous avons fait insérer dans la Gazette.

divisore
Nomi citati:
Pietro De Rossi di Santa Rosa, belle-sœur, marquis Lascaris, sa fille, Gustave, Auguste, son père, Adèle, Pellico, Gazette, sa femme.
Toponimi citati:
Turin.

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