NOV
23
1833

Cavour, Camillo Benso di a Maurice, Paul-Émile 1833-11-23 #1350


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Maurice, Paul-Émile.
Data:
23 Novembre 1833.

                                                                                                  Turin, 23 novembre 1833
      J'ai voulu, cher ami, pour t'écrire te donner des informations précises sur l'établissement de ma tante et de mon oncle de Tonnerre à Turin. Grâce au pseudo-choléra et au dépit-juste-milieu nous les possédons de nouveau au milieu de nous. Ils sont réinstallés ici comme si jamais ils n'eussent dû quitter le Piémont. On les dirait revenus d'une course à Rivoli. Ils ont repris exactement leur ancien train de vie; Mr de Tonnerre se promène, visite, va au spectacle, raconte à tout le monde ses anecdotes et débite ses éternels bons mots à qui veut les entendre. Mme de Tonnerre reste presque toujours chez elle, ou chez ses sœurs; elle fait des patiences, reçoit des visites, et jouit de voir constamment des ultras de bon aloi. Pour Paris, il n'en est plus question, si ce n'est pour faire ressortir de tems en tems l'immense différence entre son état actuel et celui où l'avait laissée la jamais-assez-regrettable restauration.
      Quant au public, il s'est montré moins sévère que je ne l'aurais cru à leur égard. Le Piémontais est bon et indulgent de sa nature, il est disposé à la bienveillance surtout pour ceux qui ne veulent pas exercer de supériorité envers lui, et, à cet égard, il n'a certes rien à reprocher à mon oncle. Aussi quand leur retour a été connu, c'est tout au plus si les malins se sont permis quelques exclamations tant soit peu moqueuses. On s'est dit généralement que c'étaient d'aimables gens, que leur cuisinier était habile, que leur salon était agréable, et que par conséquent ils avaient bien fait de revenir, et toutes leurs anciennes connaissances sont venues leur faire compliment. La fadeur politique de l'atmosphère dans laquelle ma tante se trouve ici a déjà produit d'heureux effets sur son humeur, que les miasmes libéraux de Genève avaient singulièrement aigrie. Elle commence à reprendre son ancien état, c'est-à-dire qu'elle redevient chaque jour plus indulgente, et plus aimable. J'ai tort cependant d'attribuer cette amélioration d'humeur uniquement au changement du climat politique. Je crois que tu y as été pour beaucoup. Pendant ton séjour au Bocage tu l'as ravie, et achevé de faire sa conquête. Elle nous est arrivée enchantée de toi et ne cessant de dire tout le bien possible de toi. Je t'assure que ces louanges, cette fois, n'ont pas produit sur moi le même effet que me faisaient jadis celles de l'honnête d'Auvare, le type de perfection que ma tante d'Auzers ne cessait de me proposer pour modèle; loin de là, je me suis réjoui jusqu'au fond de l'âme de te voir apprécié comme tu le méritais, et j'ai joint ma voix, de manière à couvrir celle des autres, dans le concert unanime d'éloges dont tu as été l'objet. Je m'étais bien aperçu des germes d'affection que nourrissait ma tante pour toi; mais je n'aurais osé espérer qu'ils se fussent aussi étonnamment développés qu'ils ne l'ont fait, au point que maintenant si ma tante avait quelque trente ou quarante ans de moins, je me croirais en devoir d'avertir ma cousine Adèle de se tenir sur ses gardes et de s'armer de jalousie.
      A propos de ta femme, puisqu'elle a été assez bonne pour faire des plaintes aimables à mon oncle sur ce que je n'avais pas tenu la promesse de lui écrire, que je lui avais faite en la quittant, je prends la liberté de lui inclure ci-dedans un petit billet que je te prie de lui remettre. Dis-lui auparavant que ce n'est pas sans quelque crainte que je lui écris, car j'ai eu beau me tordre l'esprit de toutes les manières, il m'a été absolument impossible de lui faire du neuf. Si donc elle n'est pas dans une phase d'extrême indulgence, et ne se sent pas disposée à prendre en considération les effets nécessaires d'une atmosphère aussi monotonisante que celle de Turin, je la prie de jeter mon billet sur le feu.
      Fais-moi le plaisir d'acheter chez Mr Colladon une boite d'une livre de pastilles de menthe, tu pourras me l'envoyer par l'illustre comte de Welsleben (petit petit-Pierre), qui doit passer par Genève et demander les commissions de la maison Sellon, en venant à Turin, où il doit recevoir les couronnes que son éloquence foud[royante à] la diète, et dans le grand conseil de Neufchâtel lui a [values] à juste titre. Si tu ne voyais le héros prussien, alors tu pourrais profiter de Mr Lacroix, bijoutier turinois, qui passera à Genève les premiers jours du mois prochain, et ira certainement prendre les ordres de mon oncle, pour mon père, à qui il a de grandes obligations.
      Je te serais aussi bien obligé si tu étais assez bon pour commander à mon compte vingt-quatre douzaines de cartes de première qualité, que tu m'enverrais quand bon te semblerait par le courrier à l'adresse de Mr de Barante.
      Toute la maison se porte assez bien; nous avons eu cependant ma tante Henriette avec un gros rhume, auquel on s'est plu de donner le nom élégant de grippe. Elle est maintenant guérie. Bien des choses, je t'en prie, à toute la maison Sellon, surtout à Amélie. Rappelle-moi au souvenir de ton père, et de tous ceux qui ne m'ont pas tout à fait oublié.
      Je t'embrasse de tout mon cœur.
                                                                                                 Ton dévoué ami
                                                                                                        Camille

divisore
Nomi citati:
ma tante, cher ami, Mr de Tonnerre, ton père, Amélie, ma tante Henriette, Mr de Barante, Auvare, ma tante d'Auzers, ma cousine Adèle, mon oncle de Tonnerre, mon oncle, Mr Colladon, Mme de Tonnerre, Mr Lacroix, comte de Welsleben, petit petit-Pierre, mon père.
Toponimi citati:
Turin, Piémont, Paris, Genève, Rivoli, Bocage, Neufchâtel.

Allegati