DIC
31
1832

Cavour, Camillo Benso di a Maurice, Paul-Émile 1832-12-31 #1342


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Maurice, Paul-Émile.
Data:
31 Dicembre 1832.

      Je vous savais, très cher ami, encombré d'affaires; c'est pour cela que je n'ai pas prévenu votre très aimable lettre par une de mes épîtres. Je connais toutes les occupations qui attendent un homme aussi ordinairement occupé que vous, à son retour d'une longue course; aussi attendais-je de vous savoir débarrassé d'une partie de vos affaires pour causer au long sur les nombreux sujets qui nous intéressent tous les deux également.
      Avant tout je veux vous témoigner tout le plaisir que m'a fait éprouver la nouvelle de votre heureux voyage. Je craignais bien des choses pour ma charmante cousine: la fatigue de la voiture, le froid du Mont-Cenis, les descentes rapides, les auberges malpropres; et ce n'est pas sans une vive joie mêlée de sincère admiration que j'ai appris qu'elle avait tout bravé avec autant de constance que de bravoure.
    Vous aurez dû éprouver une bien vive satisfaction en retrouvant mon cher oncle mieux que les dernières nouvelles, que vous aviez reçues en route, ne pouvaient vous le faire espérer. J'espère que la dernière crise qu'il a éprouvée, suite nécessaire du traitement d'Aix, aura produit une révolution salutaire dans sa santé. Il ne s'agit plus maintenant que de l'engager à suivre un régime salutaire au physique comme au moral; l'un et l'autre sont également indispensables à sa santé; et selon moi quatre repas par jour ne lui sont pas plus nuisibles que quatre brochures par mois.
    Mon père doit vous avoir envoyé un livre intitulé Le mie prigioni, qui contient le fidèle et intéressant récit de la longue captivité de Silvio Pellico, poète fort estimé, et qui n'avait commis d'autre délit, que celui de désirer l'affranchissement de sa patrie du joug honteux des étrangers. Je vous prie de le faire lire à Adèle, afin qu'elle voie à quel point de froide et barbare cruauté l'esprit de despotisme peut pousser une personne aussi naturellement bonne et compatissante que l'empereur d'Autriche.
    Une institution est d'autant plus mauvaise, qu'elle pousse davantage des gens ordinairement vertueux à des actions plus barbares et plus coupables.
    Les nouvelles politiques occupent ici singulièrement les esprits. Le cœur des ultras (renforcé depuis vous d'un Montmorency, d'un Cariolis et plusieurs autres, qui font presque pâlir l'exagération des Cauchy, des d'Olry, et des Roussi, tant ces nouveaux venus sont inspirés et exaltés) chante, crie et hurle plus que jamais; tantôt ce sont des élégies touchantes sur la captivité de la femme héroïque; tantôt des chants guerriers pour animer au combat les Hollandais, ou appeler à leur secours les puissances despotiques. Mais le plus souvent ils se livrent aux inspirations de leur divin courroux, contre la France, le siècle, la civilisation et jusqu'à la race humaine.
    Vous imaginez quelle figure je ferais au milieu de ces angéliques concerts; aussi, lorsque je vois que la Congrégation menace de donner chez ma tante, je mets mes mains dans mon gilet, et vais faire de la tranquille doctrine avec le bon Mr de Barante, qui maintenant est agité jusqu'à l'état fébrile sur le sort des nouveaux ministres, tant il les aime et les chérit. Je vois avec plaisir que vous croyez que le ministère aura la majorité aux Chambres.
    A Genève, où vous avez des échantillons de tous les partis, vous êtes admirablement bien placé pour vous faire une idée juste de l'état des choses; je voudrais en conséquence que vous me disiez ce que vos relations avec les Anglais et les notions qu'ils vous ont données, vous font présumer du résultat probable des prochaines élections en Angleterre. Je crois que c'est de toutes les questions maintenant débattues, de beaucoup la plus importante. La marche progressive et pacifique de la civilisation dépend principalement de l'action sage et libérale du ministère Grey. Si le pouvoir tombe dans les mains des tory ou des libéraux, l'Europe sera de nouveau lancée dans les orages et les révolutions pour bien longtemps. Questo Dio non voglia.
    Mon père vous remercie infiniment des peines que vous vous êtes données, pour lui faire parvenir la voiture dernièrement achetée, et qui a plu beaucoup à tout le monde. Seulement il vous envoie ci-jointe la déclaration faite par la personne à qui elle a été remise à Annecy, par laquelle il résulte y manquer les quatre courroies de derrière, qui sont portées sur la note des objets de la voiture. Mon père vous prie de faire vérifier près de la personne qui l'a conduite, si lesdites courroies n'étaient qu'égarées, et s'il y avait quelques moyens de les retrouver.
    Je vous prie de dire bien des choses de ma part à Adèle, qui, j'espère, ne m'en veut pas pour ne pas être convaincu des avantages de la mollesse, et ne pas assez apprécier les charmes inestimables des aristocrates, et des gouvernements aristocratiques.
    Comme vous aimez plus qu'elle les manières, je finis en vous témoignant, tout trivialement et naïvement, le sincère plaisir que votre correspondance me procure, comme un moyen d'entretenir la sincère amitié qui, je l'espère, nous unira toujours.
                                                                                           Votre dévoué
                                                                                                Camille

divisore
Nomi citati:
Paul-Émile Maurice, très chèr ami, Roussi, Cauchy, Cariolis, Olry, femme héroïque, Montmorency, Mr de Barante, cher oncle, charmante cousine, Silvio Pellico, Adèle, empereur d'Autriche, Grey, mon père.
Toponimi citati:
Mont-Cenis, Aix, France, Angleterre, Genève, Europe, Annecy.

Allegati