MAR
26
1854

Cavour Camillo Benso di a Hambro Charles Joachim 1854-03-26 #3667


Mittente:
Cavour Camillo Benso di.
Destinatario:
Hambro Charles Joachim.
Data:
26 Marzo 1854.

Turin, 26 mars 1854 Mon cher Baron, Je vous remercie de votre bonne lettre du 20 courant. Elle m’a fait une vive satisfaction en me prouvant que, si vous m'avez qulequefois boudé, vous ne m'avez pas moins conservé votre préceuse amitié. J'apprécie infiniment les conseils que vous me donnez, et je vous assure que je ne suis pas aussi éloigné de les suivre que vous ne pourriez le juger d'après les apparences. Vous trouvez que le pays a été poussé trop brusquement dans la carrière industrielle; c'est possible. Mais vous ne savez peut-être pas que, depuis un an environ, je fais tout ce que je peux pour modérer son ardeur. Il fallait le tirer de la torpeur où il végétait; sans cela, il n'eût pas été dans le cas de supporter les nouveaux fardeaux qu'il a fallu lui imposer. En se réveillant, il a peut-être dépassé les bornes que la prudence aurait dû lui tracer, il est presque impossible de régler les mouvements des peuples avec une précision mathématique et d'éviter les exagérations. Notez toutefois que, si l'esprit de spéculation a commis des excès, il ne s'est pas rendu coupable de véritables folies, comme cela a eu [lieu] en d'autres pays et notamment en Angleterre. Toutes les entreprises, sans exception, qui ont été tentées, reposent sur des bases solides et ont un but utile. On a trop fait, mais on n'a rien entrepris qui, une fois achevé, ne donne des résultats bons ou passables. Les chemins de fer en construction coûtant fort peu et traversant de riches contrées, seront tous des chemins payant des dividendes. En industrie proprement dite on a beaucoup fait, mais sans exagération. Les nouvelles usines sont presque toutes en excellentes conditions. Certainement, si j'avais prévu la guerre d'Orient, la crise des céréales et le manque de récolte du vin, je n'aurais pas poussé le pays si fort. Mais, d'un autre côté, si le mouvement industriel eût été moins actif, je ne sais comment le pays aurait supporté la cherté des vivres. Quoiqu'il en soit du passé, je comprends que, pour le moment, il faut enrayer et attendre que le calme se rétablisse dans les esprits, pour recommencer à marcher. Le Gouvernement a peu à faire pour achever son réseau de chemins de fer. La ligne de Turin à Suse s'ouvrira le 17 du mois prochain; celle d'Alexandrie à Novare dans le courant de mai ou de juin; il nous restera à terminer celle de Novare à Arone, qui est à moitié faite et payée; ce qui exigera encore une dizaine de mois ou un an. Une fois le réseau achevé, le Gouvernement pourra songer à transformer les Anglo-Sardes en actions donnant droit à une participation aux produits de nos chemins de fer. L'idée que vous avez communiquée à E. De la Rüe d'abord, à moi ensuite, me sourit tout à fait. Mais on ne peut la mettre en pratique avant de connaître ce que rendent nos chemins de fer. J'en espère beaucoup. Mais le public n'est pas obligé de partager mes espérances et peut-être mes illusions. Il faut avoir des faits pour le convaincre. J'ai calculé la rente brute de la ligne de Turin à Gênes à 40.000 francs le kilomètre. Je suis persuadé qu'elle rendra davantage, mais jusqu'à présent je ne puis pas le démontrer, car le service des marchandises n'est pas encore en activité, et si l'on calculait les produits futurs sur les produits des mois passés, on n'arriverait qu'au chiffre de 30.000 francs par kilomètre. Je passe à la politique. Je puis tout d'abord vous assurer que nous ne désirons nullement la guerre, que nous fesons et que nous ferons tout ce qui dépend de nous pour l'éviter. L'émigration, les mazziniens, les radicaux, etc. n'exercent pas la moindre influence sur nous; ils en ont même très peu dans le pays. Si cependant l'Autriche se déclare pour la Russie, si la guerre embrase tout le continent de l'Europe, alors nous y prendrons forcément part. Jusqu'à présent nous avons marché parfaitement d'accord avec le Gouvernement anglais. Je vous assure que vos ministres ne nous accusent pas d'imprudence. Au contraire, si votre représentant ici nous adresse quelquefois des reproches, c'est plus tôt [sic] à cause de notre excès de modération. Tenez pour vous cette confidence, que je ne désire pas porter à la connaissance du public. Quant à la politique intérieure, je comprends que notre lutte avec Rome et parti pretino vous inquiète. Mais si vous connaissiez à fond notre pays, vous jugeriez peut-être que nous ne pouvions pas agir autrement que nous ne l'avons fait. L'irritation contre le Pape est extrême; elle a pour cause non pas un principe religieux, mais un principe politique. On n'aime pas le pape parcequ'il est le chef de l'Église, mais parcequ'il est la principale cause des malheurs de l'Italie. Si nous avions cédé devant Rome, le parti libéral tout entier nous abandonnait, et nous aurions été forcés de nous jeter dans les bras de l'Autriche. Revel le sait comme moi; c'est pourquoi il n'a pas voulu du pouvoir, lorsqu'on le lui a offert. Il ne l'accepterait pas maintenant, parce que l'esprit public n'a pas changé. Aussi je ne crois pas qu'il soit irrité contre le Ministère, ni contre moi en particulier. Je l'ai toujours ménagé; je le ménage encore, même lorsqu'il se laisse emporter contre moi, et je tâche de conserver son appui. Mais si je lui proposais d'entrer au ministère, il ne pourrait pas l'accepter sans renoncer à ses principes, ou sans demander des concessions de ma part, qui me déconsidéreraient entièrement. Si l'union de l'Autriche avec la France se resserre, il se peut que le pays doive adopter une politique plus nettement conservative. Dans ce cas, le public sentira la nécessité d'un changement de ministère, et Revel deviendra loyalement possible. Je m'empresserai alors de lui céder mon poste et, qui plus est, de lui donner, comme député, tout mon appui. Revel n'a pas besoin de moi pour gouverner. Je gâterais son système, dont l'application peut devenir opportune d'un moment à l'autre. Il ne me reste qu'à vous entretenir des mesures que je compte prendre pour parer aux nécessités du moment. Vu l'état des Bourses de Paris et Londres, je vais tenter un emprunt à l'intérieur. Si la masse du public y prend part, il réussira. Si elle se tient à l'écart, je ferai fiasco, car le commerce n'est pas en mesure de faire grand'chose. Notez toutefois qu'étant disposé à accorder de longs termes pour le payement de l'emprunt, il ne s'agit que de réunir, pour le moment, quelques millions. Si, dans cette circonstance, vous pouvez souscrire quelque chose, vous me ferez plaisir; dans ce cas, vous retiendrez le montant des deux premiers termes à compte du semestre des Anglo-Sardes, qui échoit le premier juin. Si je ne réussis pas à placer toutes mes rentes dans le pays, dites-moi franchement si vous vous chargeriez de faire négocier à Paris le montant des rentes nécessaires pour payer le dit semestre, c'est-à-dire pour une somme de 60 à 70.000 livres sterling. Vous n'auriez pas la concurrence de R., car le madré fenau [sic] a retenu entre ses mains la somme nécessaire pour payer le semestre de juillet. Je suis parfaitement de votre avis pour rapport à l'or; mais pour que la substitution que vous me proposez réussisse, il faudrait persuader la Banque, qui a 8 millions d'or en caisse, de changer ses billets contre des napoléons; or c'est à quoi je ne suis pas parvenu. En insistant, je réussirai peut-être. Croyez-vous qu'il y aurait convenance à faire venir des lingots de Londres, que la Banque ou le Gouvernement payeraient soit avec des traites, soit en fesant tirer à 3 mois? La longueur de ma lettre vous prouvera, mon cher Baron, combien je fais cas de votre opinion et de vos conseils, et combien de plaisir j'éprouve à m'entretenir avec vous. Cela vous excitera, j'espère, à m'écrire plus souvent. Croyez à mes sentiments dévoués.

divisore
Nomi citati:
Baron, E. De La Rüe, Revel, R..
Toponimi citati:
Angleterre, Orient, Turin, Suse, Alexandrie, Novare, Arone, Gênes, Autriche, Russie, Europe, Rome, Italie, Paris, Londres.

Allegati