MAG
13
1833

Cavour, Camillo Benso di a De La Rive, Auguste 1833-05-13 #1345


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
De La Rive, Auguste.
Data:
13 Maggio 1833.

                                                                                                           Turin, 13 mai 1833

    Mon cher cousin,
    Permettez-moi de vous recommander comme mon ami une personne, qui se recommande d'ailleurs à un savant comme vous par sa réputation comme chimiste et comme médecin. C'est du médecin Mojon de Gênes dont je vous parle; devant passer par Genève, pour aller à Paris, où il compte se fixer, il m'a témoigné le désir de vous être présenté. Vous le trouverez fort instruit et même assez aimable, mais un cerveau brûlé en fait de politique. Si vous étiez curieux de connaître une personne aussi distinguée que raisonnable et modérée, ayant sur son pays les vues les plus élevées et les plus justes que je connaisse, faites connaissance avec Mme Mojon, qui accompagne le docteur son mari. Vous trouverez chez elle, chose excessivement rare et précieuse par le tems qui court, les sentimens les plus vifs, unis à la plus grande modération de principes.
    Il s'est passé bien des choses, mon cher cousin, depuis nos causeries politiques dans les allées de Pressinge. Une commotion terrible, que nous ne prévoyions pas alors, a ébranlé le monde politique jusque dans ses fondemens, et Dieu sait quand il reprendra une assiette stable. La commotion générale a réagi sur les individus et toutes les opinions en ont été secouées, modifiées, et dans quelque cas même changées. Parmi mes amis et les connaissances qui m'entourent, il s'en est suivi un changement inconcevable; les uns, modérés réformateurs, se sont jetés à corps perdu dans le mouvement, ne se contentent plus maintenant de rien moins que d'un bouleversement complet; d'autres de la même nuance ont reculé tout effrayés vers l'ultraïsme; des personnes qui auraient été enchantées de concessions raisonnables, veulent maintenant la république; et quelques autres qui ne craignaient que trop de précipitation dans les réformes, ont reculé jusqu'au siècle de Louis XIV, évoquant les souvenirs du grand roi, pour gouverner les peuples du dix-neuvième siècle. Quant à moi, j'ai été longtems indécis au milieu de ces mouvemens en sens contraire. La raison me retenait vers la modération; l'envie démesurée de faire marcher nos acculars me rejetait vers le mouvement; enfin après de nombreuses et violentes agitations et oscillations, j'ai fini par me fixer comme le pendule dans le juste-milieu. Ainsi je vous fais part que je suis un honnête juste-milieu désirant, souhaitant, travaillant au progrès social de toutes ses forces, mais décidé à ne pas l'acheter au prix d'un bouleversement général, politique et social. Mon état de juste-milieu ne m'empêche cependant pas de désirer le plus tôt possible l'émancipation italienne des barbares qui l'oppriment, et par suite de prévoir qu'une crise, tant soit peu violente, est inévitable; mais cette crise je la veux avec tous les ménagemens que comporte l'état des choses, et je suis en outre ultra-persuadé que les tentatives forcenées des hommes du mouvement ne font que la retarder et la rendre plus chanceuse. Après vous avoir fait ma profession de foi, permettez-moi de vous demander si vous l'approuvez et si elle est conforme à votre manière de voir. J'avoue que je m'en flatte, et que cette idée me soutient souvent dans les combats que je livre à droite et à gauche. Au reste j'espère pouvoir faire une escapade cet été à Genève, et par suite aller vous trouver à Pressinge, où nous formulerons à notre aise nos croyances politiques.
    Gustave et sa femme sont revenus en bonne santé; ils nous ont beaucoup parlé de vous et de Pressinge, qui, comme vous le savez, est cher à toute notre famille.
    Mes amitiés, je vous prie, au cher Eugène, mes respects à votre femme, et à vos parens.
                                                                                      Votre dévoué cousin et ami
                                                                                            Camille de Cavour

divisore
Nomi citati:
Auguste De La Rive, cher cousin, Louis XIV, Eugène, Mojon de Gênes, Mme Mojon, Gustave, sa femme.
Toponimi citati:
Turin, Genève, Paris, Pressinge.

Allegati