OTT
30
1831

Cavour, Camillo Benso di a Cavour, Michele Benso di 1831-10-30 #1333


Mittente:
Cavour, Camillo Benso di.
Destinatario:
Cavour, Michele Benso di.
Data:
30 Ottobre 1831.

    Ce printems à l'époque où j'ai dû m'éloigner précipitamment de Turin, vous étiez convenu avec moi, qu'il ne m’était plus possible de continuer à servir d'une manière honorable. Vous m'aviez même, avec votre bonté ordinaire, promis d’aviser aux moyens d'effectuer, de la manière la moins fâcheuse, cette pénible détermination, que les mesures que l'on avait prises à mon égard rendaient inévitable. Mais peu après, des événements graves ont changé ma position: au moment où un prince qui avait eu pour moi des bontés personnelles montait sur le trône, et lorsque la guerre étrangère menaçait ma patrie, l'honneur et le devoir m'ont imposé pour quelque tems une ligne de conduite différente. Quoique sous le poids des plus odieuses accusations, abandonner, en face du danger, les drapeaux de celui qui, aux tems de calme et de paix, m'avait attaché à sa personne, c'eût été donner raison à mes accusateurs. J'aurais alors encouru, à juste titre, les reproches d'ingratitude et même de plus graves encore.
    Maintenant ces raisons n'existent plus; les menaces de guerre se sont éloignées, et les chances de paix, fortifiées par l'approche du choléra, sont assez fortes pour que je puisse, sans fournir un prétexte plausible à des imputations calomnieuses, faire cesser une position que de malheureuses circonstances ont rendue incompatible avec ce que je dois à mon nom et au sentiment d'honneur d'un militaire et d'un gentilhomme.
    Vous savez, mon cher papa, que depuis plusieurs années, je vous avais témoigné le désir de sortir de l'état militaire. Mes goûts, le genre d'études auquel je m'étais adonné avec plus de succès, et la faiblesse de ma vue me fesaient souhaiter d'embrasser une carrière à laquelle je fusse plus propre. Tout en continuant mon service, je consacrais mes loisirs à l'étude des nombreuses branches de la science administrative. Je pouvais espérer de me rendre capable un jour de remplir convenablement une place analogue à mes connaissances.
    Pendant que je poursuivais tranquillement ma carrière, de fâcheuses préventions s'élevèrent contre moi, et comme malheureusement elles se trouvaient appuyées sur des apparences spécieuses, elles furent facilement accueillies. Je n'avais jamais cru devoir cacher mes opinions, malgré le tort qu'elles m'avaient fait. Je sentais qu'il n'y avait rien en elles, qu'un homme d'honneur ne pût avouer; mais dans ces derniers tems ces mêmes opinions prêtaient à des actions innocentes et à des paroles imprudentes une apparence coupable. Aussi dès l'année passée, ayant fortement désapprouvé à Gênes les fameuses ordonnances, la police me nota comme une personne suspecte et dangereuse, il n'a même pas tenu à son chef le colonel Cassio qu'on m'envoya dès lors comme un carbonaro. A mon retour à Turin, à force de commenter mes discours, et d'interpréter défavorablement toutes mes actions, l'on m'a fait passer pour un clubiste et un anarchiste, tandis qu'il n'y avait en moi qu'un jeune homme prenant un vif intérêt aux événemens du moment, et exprimant ses opinions avec une franchise souvent imprudente. Vous savez ce qu'il en est résulté; si de hautes et puissantes bienveillances ont détourné de moi les coups les plus rudes qu'on voulait me porter, on ne m'en a pas moins signalé à mes camarades et à l'armée comme une personne dangereuse, capable du plus noir et du plus indigne des crimes, la trahison.
    Après cela pourrais-je continuer à servir? Pourrais-je retourner honorablement au milieu de mes camarades? Non, lorsque l'on porte un nom tel que le mien, lorsque l'on se sent animé des sentimens de noblesse et de délicatesse, héritage précieux d'une longue suite d'ayeux, on ne transige pas avec l'honneur, on ne continue plus à porter un uniforme dès que l'on vous en a cru un moment indigne.
    Ce n'est pas sans le plus vif regret que je me séparerai de mes chefs et de mes camarades, de qui j'ai reçu des marques si nombreuses d'estime et d'amitié. Ma résolution n'a rien d'irréfléchi, j'ai pesé longuement l'étendue des sacrifices qu'elle m'impose; par elle s'évanouit l'espoir le plus cher de mon cœur, celui d'employer utilement au service de mon roi et de mon pays les faibles facultés que le ciel m'a données.
    Une idée cependant me console; en rentrant dans la vie privée je n'en continuerai pas moins avec ardeur les études que j'ai commencées. Quoique éloigné du mouvement des affaires, je m'efforcerai de me mettre dans le cas de servir ma patrie, en tâchant d'utiliser dans le cercle de la vie privée les connaissances que j'aurai acquises. Je ne veux même pas renoncer à tout espoir d'une occasion favorable qui, dissipant tous les soupçons élevés contre moi, me permette un jour de les diriger vers ce but d'une manière plus directe, et plus active ...

divisore
Nomi citati:
Michele Benso di Cavour, papa, prince, colonel Cassio.
Toponimi citati:
Turin, Gênes.

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