Cavour, Adele Benso di, n. de Sellon d'Allaman a Cavour, Camillo Benso di 1825-12-31 #1284
- Mittente:
- Cavour, Adele Benso di, n. de Sellon d'Allaman.
- Destinatario:
- Cavour, Camillo Benso di.
- Data:
- 31 Dicembre 1825.
s.d.
Il est dans mon caractère, il est de mon devoir de parler avec vérité aux personnes auxquelles je m'intéresse et particulièrement a mes fils. Je ne veux pas tarder, mon cher Camille, à te faire part de mes observations et de mes réflexions à ton égard. Tu n'es plus un enfant et ta conduite doit être éclairée et dirigée par tes parents, car maintenant l'on ne pourra plus parler légèrement de tes inconséquences. Cette année-ci n'a pas été des plus heureuses pour toi, et quant à moi je te dirai franchement que tu m'as donné très peu de satisfaction. Tu n'as eu aucun égard à aucune de mes recommandations; je t'ai pressé de gagner et conserver un chiffre comme gage de bonne conduite, tu n'as rien fait pour cela et bien au contraire parlant d'un ton méprisant de cette distinction. Votre classe avoit un chiffre honorable, vous avez fait ce que vous avez pu afin de le perdre. Je vous ai conseillé, je vous ai prié cet été de réparer un tort vis-à-vis d'un supérieur, Mr le comte de Villafalletto, qui vous a toujours traité avec toute sorte de bonté et d'indulgence; vous n'avez jamais voulu vous prêter à rien.
Arrivée à Genève, je vous ai prié d'écrire une lettre à votre excellente tante Victoire, cette sœur si tendre pour mes enfants, si parfaite dans ses regrets de ne pas vous voir aussi chez elle; une répugnance sotte et ridicule pour une langue que vous avez toujours parlée, la langue de votre mère!, vous en a retenu. Je n'ai plus reconnu là votre cœur et j'ai plaint votre esprit frappé d'extravagantes idées. Votre père, toujours si bon, si soigneux pour ses enfants, s'est dérangé tout l'été pour être à Turin les jours où il croyoit pouvoir vous posséder à la maison; de votre côté vous n'avez jamais fait un effort sur vous-même pour correspondre à ses attentions et nous avons sans cesse eu la mortification de vous savoir en état de punition. Je ne suis point contente de vous, voyez mes motifs. J'estime la science, mais avant tout les vertus, le caractère ferme, honnête et qui ne se laisse point influencer par des gens qui n'ont aucun intérêt à lui donner de bonnes directions.
Camille, vos pensées roulent sur des idées folles, inconvenantes, ridicules. Votre imagination travaille sur de faux systèmes, vous êtes dans les illusions; rentrez et bien vite dans le cercle dont vous ne devez pas sortir. Le bon Dieu vous a heureusement placé dans ce monde, profitez modestement de ces avantages afin d'honorer votre nom et votre famille; vous avez choisi une carrière, suivez-la, et mettez-vous bien dans la tête que votre père ne souffrira pas vos caprices. Vous nous trouverez toujours empressés à vous complaire dans tout ce qui sera juste, mais inflexibles dans tout ce que nous ne trouverons pas convenable. Un jour, quand vous serez à même de juger votre position, vous remercierez vos parents d'avoir résisté à vos folles idées.
Je vous le déclare bien sincèrement, je préférerois vous voir enfermé pour quelques années dans une forteresse que de vous voir faire des sottises. C'est comme la mère de Saint Louis qui disoit à son fils roi qu'elle aimoit mieux le voir mort que de le voir commettre un péché mortel. Nous devons veiller sur vous, Camille, je vous avertis à tems, mon enfant, revenez aux sentimens qui vous sont naturels, suivez les avis de ceux qui vous aiment véritablement et fermez les oreilles aux discours de gens qui ne feront que se moquer de vous.
J'eusse préféré pour toi le corps de l'artillerie, mais nous n'avons pas voulu te contrarier, quoique tu puisses voir que bien d'autres parens n'ayent pas cette complaisance et décident pour leurs fils. Maintenant tu n'as qu'un parti à prendre: c'est de te distinguer dans la carrière que tu embrasses et de donner de bons exemples de discipline militaire. Un jeune homme occupé de son sabre, de ses pantalons, et qui ensuite dans sa profonde philosophie critique le monde entier, est bien ridicule. Un jeune homme plein d'orgueil et qui ne veut se plier à aucune ordonnance, à aucune règle, et qui voudroit réformer tous les usages établis de la société, me paroît être bien aveuglé.
Ah, Camille, priez le bon Dieu de vous éclairer vous-même sur vos propres défauts et corrigez-vous. Chacun dans ce monde a ses devoirs, sa responsabilité; le magistrat doit juger avec intégrité, le ministre doit régler l'état avec toutes les lumières qu'il peut puiser autour de lui, le laboureur cultive les champs, le maçon bâtit les maisons. Le militaire doit travailler avec zèle à la défense de son pays, et son premier devoir est l'obéissance. Avant tout Camille soyez bon chrétien, je vous le recommande instamment. C'est votre salut éternel qui en dépend. Ouvrez votre cœur aux sentimens droits, confiez-vous en vos parents, et que cette année votre mère trouve plus de consolations en vous!

- Nomi citati:
- comte de Villafalletto, Victoire, père.
- Toponimi citati:
- Genève, Turin.