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1835

31 maggio 1835


Prevost et Martin sont venus nous prendre pour aller visiter les travaux du rail-way de Birmingham dans les environs de Londres. Les travaux ont commencé il y a un an, et déjà l’on a fait beaucoup de choses; l’on a construit des ponts, fait d’immenses remblais, creusé des millions de pieds cubes de terrain et percé des tunnels. Pour faciliter les travaux préparatoires, on établit partout des rail-ways volants, qu’on place et enlève à volonté. Tous les ouvrages d’art m’ont paru solides, sans que j’aie trouvé nulle part un grand luxe de construction. Nous avons été jusqu’à Harrow, petit village à douze milles de Londres, où il y a une école préparatoire du genre de celle d’Eton; et d’où l’on jouit d’une vue magnifique. On voit se dérouler à ses pieds le pays le plus vert, le mieux boisé, le plus cultivé, le mieux soigné du monde. La société du chemin de fer a été formée en 1830 par quelques capitalistes de Liverpool et de Manchester, auxquels s’adjoignirent plusieurs riches capitalistes de Londres. Les études préparatoires employèrent une année et demi, et coûtèrent plus d’un million. En 1832 un bill fut introduit devant le Parlement pour incorporer la compagnie et l’autoriser à entreprendre les ouvrages dont elle soumettait le plan. Le bill après avoir passé à la Chambre des communes, fut rejeté par la Chambre des lords, en partie par des personnes intéressées, et en partie par des gens à préjugés qui croyaient que les rail-roads allaient changer en pire l’état du pays. La compagnie fut sur le point de renoncer à sa vaste et utile entreprise quand ayant été aux informations elle reconnut qu’il lui aurait été facile de se rendre favorable un certain nombre de nobles pairs moyennant un sacrifice d’une somme peu considérable d’argent. Deux mille livres st. furent distribuées entre sept à huit des plus violents opposants, et dans la session suivante le bill passa sans difficultés dans les deux Chambres. Le bill forme un gros volume in foglio. Il règle l’administration intérieure de la compagnie, ses rapports avec le public, les pouvoirs qui lui sont nécessaires pour acquérir les terrains par lesquels le rail-road doit passer, enfin c’est un code tout entier fait et composé à l’usage d’une seule compagnie pour un objet particulier. Les travaux ont commencé vers la fin de 1833, ils ont été poussés avec beaucoup d’activité pendant l’année 1834 et maintenant ils sont déjà assez avancés sur divers points de la route, particulièrement dans les environs de Londres. D’après les calculs qui ont été faits le rail doit coûter près de 80,000,000; et il faut encore trois ans avant qu’il soit complétement fini. Cette immense entreprise est confiée à un ingénieur en chef, Mr. Stephenson, le fils du célébre mécanicien; et elle est dirigée par un comité de directeurs, composé de 24 membres, dont douze siègent à Londres et douze à Birmingham. Les directeurs exercent un pouvoir suprême, à peu près sans contrôle. Ils gèrent les intérêts de la compagnie, ils décident de tous les points en dernière instance, et c’est à peine s’ils se donnent la peine de faire chaque année un rapport à l’assemblée générale des actionnaires. Chaque directeur reçoit 100 livres sterlings par année. Toutes les affaires se décident en comité; elles se traitent en commun, il n’y a point de division de travail entr’eux. Le comité siège tous les mercredis, et le membre qui n’y vient pas, ou qui arrive après qu’on est entré en séance, est soumis à une amende d’une livre sterling. Prévost m’assure qu’ils sont en conséquence d’une régularité exemplaire. L’administration est aussi simple que possible, il y a un secrétaire avec deux ou trois clercs, et il n’y a nul luxe de bureau, ni d’écriture. Les Anglais possèdent au plus haut degré le talent de travailler en commun. Ils discutent sans se disputer; ils ont un grand respect pour chaque opinion individuelle, et la minorité quelque petite qu’elle soit est sûre d’être écoutée avec attention et patience. Souvent l’opposition d’un seul membre suffit pour faire renvoyer à une autre séance une décision, afin de tâcher d’éclaircir la matière en discussion, et d’amener tous les membres à une même conviction. Il s’en suit de ce mode de procéder, que l’habitude s’est formée de presque tout décider à l’unanimité. C’est cette habitude devenue générale, qui rend l’exécution de la loi sur la division du jury infiniment plus applicable qu’on ne le croirait. Prévost m’a assuré qu’il n’y avait eu qu’une ou deux circonstances de peu d’importance où les membres du comité n’avaient pas pu se convaincre mutuellement, et dans lesquelles il avait fallu avoir recours à une votation. Les cas étaient si minimes qu’il ne pouvait pas s’en rappeler. L’ingénieur en chef reçoit 1,500 livres sterlings par an. Il gagne en outre une somme assez considérable de plusieurs jeunes gens qui sont employés sous ses ordres et qui apprennent le métier. Il y a un grand nombre de sous ingénieurs, dix-sept, je crois, qui tous ont une certaine étendue de travaux à surveiller et à diriger. L’ingénieur est tout à fait aux ordres des directeurs, qui néanmoins ont le plus grand égard pour ses opinions. Les travaux sont adjugés par morceaux à d’assez forts entrepreneurs qui les sous-louent ensuite à l’infini. Le travail à tâche devient tous les jours plus commun en Angleterre, on trouve qu’il est également avantageux aux maîtres et aux ouvriers; je l’ai trouvé établi dans la plupart des manufactures où j’ai été. ARAGO. M. Arago a donné a M. Thibeaudain, rédacteur du National, une lettre pour lord Brougham dans laquelle il le lui recommande comme un des hommes de confiance du parti auquel il appartient. M. Thibeaudain étant ouvertement républicain, il s’en suivrait que M. Arago s’est tout à fait jeté dans ce parti, duquel il affecte cependant de se tenir séparé. La violence des opinions du fils m’avait fait soupçonner la modération du père. La société est terriblement travaillée en France. J’ai dîné chez Le Fèvre à Battersea. Nous avons beaucoup causé pauvres et esclavage; mais surtout de ce dernier sujet. Il est parfaitement satisfait de la manière dont le bill de l’émancipation works; il ne doute pas de son succès; cependant il croit que les revenus des colons seront grandement diminués et que par conséquent la compensation qu’on leur a accordée est juste et raisonnable. Il est partisan du vote par ballot, comme moyen de diminuer l’influence de l’aristocratie et de la démagogie. Il ne croit pas au reste que le vote par ballot amène un aussi grand changement que ce que les uns craignent et les autres espèrent. Ses raisonnements ne m’ont point fait changer d’opinion; dans l’état actuel de l’Angleterre le vote par ballot pourrait avoir de funestes conséquences. Le mouvement de réforme est suffisamment rapide, on ne pourrait pas l’accélérer sans danger. Mr. Le Fèvre est le meilleur homme du monde, simple, cordial, affectueux; il réunit toutes les bonnes qualités des Anglais au plus haut degré. Il a de charmants enfants que nous avons vus un instant au dessert. Sa femme n’est pas encore relevée de couches.

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