MAG
31
1834

31 maggio 1834 - 31 maggio 1834


Diario:
1834.

      Les derniers jours de ce mois ont été orageux; la sourde irritation qui existait entre mon frère et moi s’est à la fin manifestée hautement et nous en sommes venus à un point d’où je doute fort que nous puissions reculer.
      Voici le fait. Mon frère a habité ma chambre pendant tout l’hiver; et moi, j’ai été confiné dans l’ancienne bibliothèque, où j’étais bien mal sous tous le rapports; je n’avais pas même un endroit pour mettre mes habits et serrer mes pantalons; mais enfin c’était moi qui avais invité mon frère à prendre ma chambre, et il n’y avait rien à dire; s’il n’avait jamais eu l’air de m’en savoir gré, il n’y était pas obligé; nul n’est tenu à manifester des sentimens qu’il n’est pas susceptible d’éprouver; et mon frère est dans ce cas pour la délicatesse et la reconnaissance. Mais enfin, comme l’époque du départ pour la campagne approchait, et que mon frère ne manifestait aucune intention de me rendre ma chambre, j’ai pris le parti de lui déclarer que je n’avais jamais compté lui en faire le sacrifice complet, mais que je le priais d’aviser aux moyens de me la rendre lorsqu’il irait à Santena. Il ne prit pas fort bien cet avis, et se contenta de me répondre quelques phrases vagues, qui ne dénotaient aucune intention précise. Cette manière de reconnaître le sacrifice coûteux qe je lui avais fait m’indigna, cependant notre conversation n’eut pas de suite. Mais quelque temps après, l’avant-veille du départ de la famille, mon frère étant venu chez moi, je ne sais pour quel motif, je lui répétais la déclaration que je lui avais faite, en ajoutant que j’avais cru m’apercevoir que son intention était de profiter de mon absence pendant l’hiver prochain pour prolonger son occupation de ma chambre encore pendant une année, après laquelle il aurait une espèce de droit acquis qu’il saurait faire valoir. Il me répondit vaguement; je m’irritai, même je m'emportai jusqu'à lui dire quelques mots un peu durs; alors il se mit en colère, et me répliqua que la chambre ne m'appartenait pas, qu'il y avait autant de droit que moi, que papa seul pouvait en disposer, et qu'on serait bien bête de se laisser dominer par moi. Nous nous quittâmes là-dessus. Moi, je descendis pour prier ma mère d’user de son influence pour me faire rendre ma chambre. Je m’abstins de toute plainte contre mon frère. Ma mère me donna raison et me promit que je serais satisfait. Gustave alla droit à papa et lui répéta verbatim tout ce que j’avais dit, sans en excepter les réflexions un peu cyniques sur le séjour de Mme de Tonnerre, que j’avais faites dans la chaleur de mon emportement. Les choses en restèrent là; jusqu’après le départ de Gustave pour Santena; il n’en fut plus question, nous nous quittâmes mon frère et moi sans un mot de politesse ou d’affection; j’avoue cependant que j’étais disposé à un raccommodement complet. Cette disposition est maintenant disparue.
      Dans la journée, mon père vint me trouver dans ma chambre et il me déclara qu’il avait été instruit par mon frère de ma discussion avec lui, que j’avais tort, que mes manières lui déplaisaient, et plusieurs autres choses pareilles; suivant mon habitude, je n’ai répondu que le moins de mots possibles, mais j’avais le cœur ulcéré; ma position me pèse déjà bien assez, sans qu’il faille me reprocher ce qu’elle a d’incommode pour les autres. Il est dur de s’entendre reprocher la maigre pitance qu’on me donne, lorsque tout le monde croit que j’en ai deux fois autant à ma disposition; il est dur de s’entendre reprocher l’inutilité de notre vie lorsque tous les chemins que pourrait se frayer l’esprit le plus entreprenant lui sont hermétiquement fermés. Je l’avoue, je n’ai pas su resister aux sentiments que cette scène me causait; j’ai pleuré, oui, j’ai pleuré de rage et de colère. Papa, qui cependant est très bon, c’est [sic] aperçu qu’il avait été trop loin, et qu’il s’était servi d’expressions imméritées, aussi il revint sur ses reproches, il me parla affectueusement, il m’embrassa, et il m’assura qu’il ferait ce qu’il pourrait pour me créer une occupation à la fois lucrative et intéressante, et me donner les moyens de me créer un sort par moi-même. On vint dire que le dîner était servi, et les choses en restèrent là.
      Comme dans les choses les plus graves il y a toujours un côté risible, dans les reproches de papa il y a eu aussi du comique. Lui avant dit que j’avais été indigné que Gustave ne m’eût jamais dit un mot pour reconnaître le petit sacrifice que je lui faisais, il s’est écrié: «Et toi, m’as-tu jamais remercié pour tout ce que je fais à Truffarel?». Et là-dessus il a parlé des privations qu’il s’était imposées pour arranger ce vieux manoir, et il a dit bien des choses sur ce sujet qui lui tient tant à cœur. Exiger que j’aie de la reconnaissance pour [sic] qu’on me prépare un gîte dans un château où il n’y a ni vue, ni jardin, ni appartement commode, c’est un peu fort. Mais patience, il faut bien que tout le monde, même les gens les plus sensés, aient de petites manies, c’est la loi de la nature.
      De ceci il ne me reste qu'une chose de positive: c'est que Gustave a trahi la confiance que j'avais mise en lui. Rien ne l'autorisait à répéter ce qui n'était adressé qu'à lui, qu'à mon frère, le confident intime de mes plus secrets sentimens. Il pouvait se plaindre de moi, mais dévoiler ce que je n'ai jamais laissé voir qu'à lui, il ne devait pas le faire; c'est indigne d'un homme d'honneur. Toute confiance a désormais disparu d'entre nous. Il pourra encore y avoir des rapports de bienveillance et de politesse entre mon frère et moi, mais de l'amitié, de la confiance et de la tendresse, plus jamais.

divisore
Nomi citati:
mon frère, papa, Mme de Tonnerre, Gustave, ma mère, mon père.
Toponimi citati:
Santena, Truffarel.

Allegati