LUG
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1834

29 luglio 1834 - 29 luglio 1834


Diario:
1834.

      Je suis un indigne, un infâme, je ne trouve pas de termes assez forts pour stygmatiser mon horrible conduite. J'ai abusé, j'ai atrocement abusé du pouvoir que me donne mon esprit; en un mot, j'ai séduit Mme de Guasco. Comment cela s'était-il fait? je ne le conçois pas moi-même. Certainement je n'en ai jamais eu le projet, non pas même au dernier moment. C'est si vrai qu'à mon premier séjour à Vaudier je ne lui ai pas même adressé une parole, ce qu'elle avait trouvé, avec raison, fort impoli. À mon retour, c'est uniquement par un sentiment de devoir que je lui ai parlé. Un pressentiment funeste paraissait m'avertir du danger que je courais. La fatalité a voulu qu'il n'y eût pas dans toute notre société, une seule personne avec laquelle il fût possible d'échanger agréablement un mot quelconque. Le plus aimable de la bande, c'est Roussi et le plus modéré D'Abry. Cette circonstance m'a amené tout naturellement à m'entretenir constamment avec Mme de G[uasco]. Pendant quatre jours, c'est-à-dire depuis mercredi jusqu'à dimanche, il ne m'est pas venu une seule fois dans la tête que nous puissions jamais être autrement ensemble, que de ce que nous l'étions alors. Je voyais que ma conversation lui plaisait, j'en fesais honneur à mon esprit et à la stupidité de tous ceux qui l'entouraient. Elle était prévenante, je prenais cela pour de la coquetterie. Dimanche cependant j'ai vu qu'elle s'animait avec, qu'elle m'adressait des œillades assassines, et me fesaient [sic] toutes espèces d'avances. J'avoue ma faiblesse; poussé par un esprit diabolique, j'en ai tiré profit pour la fasciner complètement. Il m'a fallu tout le lundi pour cela. À la promenade, j'ai vu à n'en plus douter que j'avais acquis un empire absolu sur elle. Le lendemain je l'ai conduite dans un bosquet qui se trouve dans le bois, et là elle m'a avoué sa passion; et tout a été dit.
      Je lui ai parlé le mercredi pour la première fois et le mardi d'ensuite elle n'avait plus rien à me dire. Ô humanité, que tu es fragile! En vérité, on finira par me faire croire, malgré moi, que j'ai des moyens de séduction de premier ordre. Quoiqu'il en soit, je me trouve dans la plus triste position du monde. Me voilà lancé dans une double intrigue, ce qui m'oblige à une continuelle dissimulation, qui m'est odieuse. Encore, si, comme je n'ai jamais cessé de le croire, ma liaison avec Mme Guasco n'était que l'effet d'un petit caprice de sa part, je serais bien heureux, et je lui permettrais de bien bon cœur de rompre avec moi, dès qu'elle l'aurait satisfait, en lui laissant tout l'avantage extérieur de son côté. Mais ne voilà-t-il pas qu'elle aussi prend les choses sur un ton incroyable, elle ne parle que de dévouement sans bornes, du dernier lien de sa triste existence, émotions nouvelles et cent autres sentimens pareils, auxquels je n'aurais jamais cru que pût seulement songer une de nos femmes galantes de Turin. Quoiqu'il se puisse y avoir beaucoup de joué dans son affaire, néanmoins il doit y avoir un fond vrai, car elle oublie toutes les règles de la prudence et même celles de la coquetterie bien entendue, ce qui prouve beaucoup chez une femme de son âge et dans sa position. Elle m'a fait promettre de l'aller voir à sa campagne; d'aller souvent chez elle à Turin; enfin elle a des projets pour l'avenir de plusieurs années. Pauvre femme, comment dois-je me conduire avec elle? Il est trop tard pour lui tout avouer; et je ne vois d'autres moyens que la désabuser peu à peu. Dieu veuille que le voyage de Paris arrange tout cela.
 
      Si ce qui se passe entre elle et moi est triste, en revanche, les amours de ce bon Félix sont ce qu’il y a de plus plaisant au monde. L’honnête homme, soit par desœuvrement, soit par une velleité fort extraordinaire chez lui, s’est mis dès son arrivée ici à faire une cour assidue à la belle marquise. Tant qu’il ne s’est trouvé en concurrence qu’avec don Dana et Venanson, ses galanteries, quelque lourdes qu’elles soient, ont été assez bien accueillies. On se fesait accompagner au bal à l’autre baracon par Roussi, et peu s’en est fallu qu’on le fît pirouetter; on s’occupait an salon de lui plus que de tout autre, on le recevait à toute heure, on lui donnait le bras à la promenade; enfin, il avait les distinctions et prérogatives d’un chevalier servente soupirant. Pour se montrer digne de sa place, le cher homme fesait d’inouïs efforts pour avoir des manières galantes et un ton léger. Il prenait les poses qu’il s’imaginait être les plus gracieuses; arrondissait sa jambe et penchait sa tête plus qu’à l’ordinaire, mais ce qu’il y a de plus grave, c’est que resamblant [sic] tout ce que sa vie et son caractère honnête pouvait lui fournir de plus scandaleux, il se mit à raconter à la belle marquise pour l’amuser, les historiettes les plus grivoises du monde.
      Malheureusement pour lui, j’arrivai à la traverse de ses amours; il ne me fut pas bien difficile de l’emporter sur lui, et en deux jours il fut dépossedé du bras de la marquise, et relégué, lorsqu’il s’obstinait à la suivre, près des deux demoiselles G. et la Rovere. Son dépit fut immense, cependant il voulut encore essayer d’un moyen extrême; il se fit poète; et assumant le rôle de berger amoureux il composa deux grandes pages de poésies lyriques en honneur de la dame de ses pensée, dans lesquelles il décrit en termes touchants les tourmens de son cœur et l’ardeur de sa flamme. Peut-être auraient-ils fait plus d’effet s’ils avaient été plus justes; mais malheureusement, il y en a la moitié de boiteux, tandis que l’autre est montée sur des échasses.
      Ces poésies élégiaques produirent [sic] l’effet qu’elles devaient; la marquise se moqua beaucoup du chauve congrégandiste transformé en ménestrel amoureux, mais n’en continua pas moins à coquetter avec lui, et à l’agacer de temps en temps.
      Toute cette intrigue déplaisait fort à l'inquiète Pauline, qui prétend à un empire absolu sur le cœur et l’esprit de son mari. Elle n’osait pas laisser voir ce qu’elle sentait; et pour le cacher, elle s’essayait à tourner en plaisanterie les galanteries de Félix et les coquetteries de la marquise; mais au fond, le ver rongeur de la jalousie s’était glissé dans son âme. Non qu’elle ait jamais sérieusement douté de la vertu de son mari, mais sa foi dans l’irrésistibilité des charmes de son esprit et les grâces de sa personne, lui fesaient vivement redouter que la pauvre dame n’en eut bientôt la tête tournée, et qu’elle ne se portât à des extrémités fâcheuses. Pendant plusieurs jours j’ai été témoin à table des agitations de Pauline. Son mari se trouvait à peu près en face de Mme de G[uasco], de sorte que la conversation s’engageait toujours entre eux et durait presque tout le temps du repas. Ma pauvre cousine était sur les épines; j’avoue que je prenais le malin plaisir de la tourmenter, soit en faisant les éloges de sa rivale, soit même en lui faisant remarquer les avances qu’elle faisait à son mari. Elle voulait me répondre sur un ton de badinage, mais la pauvre femme ne réussit guère, elle fesait des mines affreuses, et avait le regard presque égaré en me disant qu’elle s’amusait de tout son cœur. Enfin les choses arrivèrent à une crise. Roussy, soit par un retour sur lui-même qui lui a fait voir le ridicule dont il se couvrait, soit parce qu’il s’apperçut [sic] qu’un autre était bien avant dans les faveurs de la marquise, résolut de battre en retraite. À cela il n’y a rien à dire, il avait raison. Il aurait pu seulement le faire plus adroitement et s’éviter une impolitesse, et une scène déplaisante.
      Depuis longtemps nous avions arrangé une partie à la cascade du Vallasque avec Mme de Guasco, Roussy, comme de raison, devait en être; il s’en était même beaucoup occupé, et il en paraissait tout en train. Tout-à-coup, la veille du jour fixé, il déclare qu’il restera à la maison, et n’accompagnera pas les dames, sans assigner la moindre excuse valable à ce brusque et grossier changement. Mme de Guasco, par dépit, et aussi pour s’amuser aux dépens de Pauline, se mit au souper à presser aussi vivement que possible Roussy de maintenir sa promesse, elle alla à mon avis au de là de ce que son décorum aurait voulu, tant ses instances étaient pressantes. Il tint ferme, et repoussa les prières de la marquise, par les plus fades galanteries du monde. Pendant tout le temps que cela a duré, Pauline a été dans un état d’agitation inexprimable; en vain voulait-elle la contenir, elle perçait dans tout ce qu’elle faisait et dans tout ce qu’elle disait. C’était la scène la plus plaisante à laquelle il soit possible d’assister. Molière n’a rien de mieux que cela. Enfin elle n’y a pu plus tenir, et se tournant vers moi, la figure contractée, et le regard égaré, elle me dit: «Elle est jugée», et se mit à me faire des plaintes amères sur son impolitesse, parce qu’elle ne l’avait point priée de faire la course, tandis qu’elle insistait autant auprès de son mari: «Me croit-elle sourde? me croit elle aveugle? As-tu jamais vu rien de pareil? Inviter un homme à faire une course pendant une demi-heure sans dire un seul mot à sa femme que l’on sait avoir cependant de bonnes jambes … C’est incroyable». Son agitation ridicule se calma, lorsqu’elle vit que Félix tenait bon. Quoiqu’elle n’eût cessé de me répéter que le parti qu’il prendrait lui était bien égal, et qu’elle ne lui en dirait certainement pas un mot, le souper ne fut pas plutôt fini qu’elle s’élança sur lui et le poussant dans un coin, lui parla pendant plusieurs moments avec une vivacité extrême. Dès que la société fut établie au salon, elle s’empara de ma mère, et lui fit les mêmes plaintes qu’à moi. Ce dont Mme de Guasco s’apperçut [sic] parfaitement. Je devrais être plus indulgent pour Pauline, car elle a un faible extraordinaire pour moi; et ce qui me fait bien plus de plaisir, un grand respect pour mon esprit et mes talents. Tous les jours elle me fait quelque nouveau compliment. Et ce soir encore, elle a dit à ma mère: «Pour Camille, il s’est conduit avec un tact admirable». Excellent.

divisore
Nomi citati:
Mme de Guasco, Roussi, D'Abry, Mme de G[uasco], Mme Guasco, Molière, Pauline, Félix, D'Abry, ma mère, don Dana, Venanson, G., la Rovere, son mari, Roussy, belle marquise, pauvre cousine.
Toponimi citati:
Vaudier, Turin, Paris, Vallasque.

Allegati