OTT
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1833

27 ottobre 1833 - 27 ottobre 1833


Diario:
1833.

      J’ai écrit de nouveau à maman, et cette fois-ci, je n’ai pas brûlé le matin la lettre écrite le soir. Tout en lui disant très-franchement ma manière de voir sur la conduite de ma tante dans ces derniers temps, tant à mon égard que relativement à sa position si fausse et si fâcheuse, j’ai su l’envelopper de ces phrases palliatives qui n’ont de valeur que celle qu’on veut leur donner, et qui, servant à adoucir la violence des reproches sur un esprit mal disposé à les recevoir, n’altèrent en rien leur force si l’on est déjà prédisposé à les croire. Je [ne] tarderai pas à voir l’effet que ma lettre a produit. Accuser hautement d’indélicatesse, d’injustice et de duplicité, devant sa mère, notre tante, sa propre sœur, c’est peut-être un peu hardi! Mais tous les jours davantage, je me convaincs qu’il n’y a d’habilité [sic] que dans une certaine audace, qui va jusqu’aux limites du faisable. Dieu veuille que le fait cette fois vienne confirmer ma théorie.
      C’est une plaisante chose que ce monde; dans les plus petits pays on trouve les mêmes passions, les mêmes intrigues que dans les plus grandes villes. Grinzane contient un résumé de toutes les jalousies, les rivalités, les haines et les faussetés qu’on [ne] croirait trouver que sur le théâtre du grand monde. L’histoire de la Salinera en est la preuve. La voici.
      Mr Davico, officier compromis dans les affaires du vingt-un, maintenant chez lui à demi-solde, obtint l’année passée le bureau du sel et tabac de Grinzane, qu’avait eu jusqu’alors un habitant du pays nommé Bonino. Ce Mr Davico remit son bureau à la femme d’un ouvrier de Rhode, qui était sa maîtresse depuis nombre d’années. Cette femme loua une petite maison et fit aller son négoce. Mais voilà que Bonino, soit qu’il fût poussé par les désirs charnels, soit qu’il voulut la convaincre de mauvaise vie, pour se venger de lui avoir enlevé la vente du sel et tabac, tâcha de la séduire en lui offrant argent et protection; il fut repoussé avec reproches et injures, et dès lors, doublement furieux contr’elle [sic], il jura de s’en venger. Quelque tems après, un autre habitant du pays, nommé G. Scavin, vieux grand-papa à cheveux gris, et propriétaire de la maison qu’occupait cette femme, voulut aussi la séduire. Mais elle, nouvelle Suzanne, repoussa ce nouvel assaillant avec toute l’indignation de la vertu. Scavin, dépité, se refuse à lui louer sa maison au-delà du terme qui allait expirer. La pauvre femme se met en campagne pour chercher un autre logement, et elle allait y réussir, quand par malheur pour elle, il lui faut soutenir un troisième assaut que lui livre mon domestique Jean, homme fort influent dans le pays. Ayant résisté à celui-ci aussi courageusement qu’aux deux autres, Jean, qui, à ce qui paraît, n’est pas accoutumé à échouer dans ses entreprises, plein de colère et de dépit, s’unit aux deux autres amants rebutés, forme avec eux une ligue puissante et, au moyen de ses créatures, retient tous les logements disponibles dans le village. Voilà donc ma pauvre femme qui, victime de son inexpugnable vertu, allait être sans un lieu pour se nicher. Le galant Davico, à la nouvelle des chagrins que tant de sagesse avait causés à sa belle, ne se possèda plus, et voulut faire sentir à cette cabale criminelle le poids de son courroux et les effets de son crédit. Grâce à une ancienne liaison avec l’intendant d’Albe, il obtint une lettre comminatoire à l’administration communale pour lui imposer l’obligation de loger sa maîtresse, vendeuse de sel et tabac. J’arrivai sur ces entrefaites; grande était l’agitation du pays. Les séducteurs, tous deux membres du conseil municipal, et chefs d’une nombreuse clientèle, protestaient de la pureté de leurs intentions, et accumulaient toute espèce d’accusations sur la Salinière. À les en croire la moitié du pays aurait passé sur son corps. D’autre part, Davico et ses amis protestaient de l’innocence de la pauvre femme; dans la chaleur de leur zèle peu s’en est fallu qu’ils ne m’ai juré que la pauvrette avait encore son pucelage. J’étais plus embarrassé que Salomon, car chez les femmes la question de chasteté est bien plus difficile à vérifier que celle de maternité. Enfin, après avoir assis les bases de ma conviction par des nombreuses enquêtes, j’ai fini par faire venir la Salinière, et lui ai ordonné d’un ton menaçant de me dire la vérité. La pauvrette s’est toute troublée, puis elle m’a confessé qu’il y avait huit ans qu’elle connaissait Mr Davico et qu’elle ne pouvait rien lui refuser, mais que jamais une autre personne (je ne saurais même dire si son mari n’était pas du nombre des exclus) ne l’avait eue. Pour satisfaire autant que possible tout le monde, pour ménager la passion de Davico, ne pas exaspérer la rage du triumvirat dépité, conserver intacte la dignité de l’administration municipale, j’ai dû prendre des peines infinies. Enfin, après mille soins, mille péroraisons pathétiques, et allocutions éloquentes, j’ai réussi à mécomptenter [sic] la Saliniera en la plaçant là où elle ne voulait pas aller, à exaspérer contre moi tous ceux qui voulaient la faire expulser de Grinzane, et [en] un mot, à déplaire également aux deux partis qui se divisent le pays, qui me taxent, chacun de son côté, de faiblesse, de condescendance pour le vice, etc. C’est ce que l’on gagne à vouloir être impartial et tenir un juste milieu.

Le morceau suivant d’Auguste de la Rive sur la philosophie des sciences m’a paru remarquable; le voici:

L’histoire de la science est intéressante pour le philosophe, qui y trouve un des éléments de cette marche progressive de l’esprit humain qu’il cherche à suivre dans toutes ses phases, et qui peut, en y saisissant des coïncidences remarquables avec des évènements et des circonstances d’un autre ordre, lier ainsi, par des rapports plus ou moins intimes, les différentes faces sous lesquelles se présente le développement des facultés de l’homme. […] Ainsi, en étudiant l’histoire de l’électricité chez les quatre nations qui peuvent pour ainsi dire se partager l’honneur de l’avoir créée, on remarquera un rapprochement remarquable entre les découvertes dont elles l’ont enrichie, et le caractère particulier qui leur est propre. En Italie tout est invention; ainsi est-ce au génie producteur et à l’imagination créatrice des savants italiens que nous devons les premières expériences [de Galvani] et de la pile de Volta, qui en fut la riche et admirable conséquence. Transportée en Angleterre, cette pile devient, par l’effet de ces vues d’application qui sont éminemment propre à l’esprit anglais, une source de découvertes importantes; appliquée à la chimie, elle enrichit cette science de corps jusqu’alors inconnus, de forces nouvelles, de théories plus satisfaisantes; appliquée à la physique, elle donne naissance à des effets de lumière et de chaleur supérieurs à tout ce qu’on avait jamais pu obtenir, et dont l’intensité ne semble avoir aucune limite. Passons en France; on retrouve dans les travaux sur l’électricité des Coulombs, des Poissons, des Ampères et de tant d’autres, ces qualités qui ont toujours caractérisé l’étude des sciences en France, cet esprit de généralisation et d’analyse si remarquable, ce talent de suivre à l’aide du calcul et par l’emploi d’une méthode aussi claire que rigoureuse, un principe dans toutes ses conséquences. C’est aux savants que nous avons nommés, que sont dues les belles et nombreuses lois, qui ont jeté une si vive lumière sur la théorie de l’électricité. Enfin le génie des rapports, cette tendance un peu mystique à saisir entre les phénomènes divers des analogies plus ou moins fondées, qui est le propre du caractère germanique, se fait bien vite apercevoir dans les pas que les Allemands ont fait faire à l’électricité. Sans avoir besoin de nommer Ritter, Erman, etc., il suffit de rappeler que c’est un disciple de l’école allemande, Oersted, professeur à Copenhague, qui parvient, après bien des tentatives infructueuses, à montrer au monde savant où est le point de liaison entre l’électricité et le magnétisme. Dans ce même ouvrage d’Auguste de la Rive, dans lequel l’histoire de l’électricité est faite avec beaucoup de talent, j’ai trouvé cité avec éloge le nom de plusieurs italiens, dont l’existance [sic] m’était, je l’avoue à ma très grande honte, pour la plupart inconnue. Les voici: Marianini de Venise, Nobili de Florence, Barlocci de Rome, Matteucci, Morichini, Zantedeschi, Antinori.
      Quand est-ce que l’Italie sera dans le cas d’encourager ceux d’entre ses enfants qui se dévouent à conserver la place éminente qu’elle occupe dans les sciences? Quand est-ce que nous saurons apprécier nos compatriotes qui jusqu’à présent, méconnus dans leur patrie, ne reçoivent d’encouragemens que des savants étrangers?

divisore
Nomi citati:
maman, ma tante, tante, Jean, Volta, Galvani, Erman, Ritter, Oersted, Auguste de la Rive, Davico, Bonino, G. Scavin, Scavin, intendant d’Albe, Marianini, Nobili, Barlocci, Matteucci, Morichini, Zantedeschi, Antinori, Galvani, Erman.
Toponimi citati:
Grinzane, Rhode, Italie, Angleterre, Florence, France, Venise, Rome, Copenhague.

Allegati