27 agosto 1833 - 27 agosto 1833
- Diario:
- 1833.
J’ai été visité [sic] la prison pénitencière avec Eugène De La Rive et le prince de Craon. Nous avons parcouru dans les plus grands détails toute la maison, les ateliers de travail exceptés. Partout nous avons été frappés de trouver l’ordre parfait et la propreté la plus remarquable. La plupart des détenus avaient des livres. En ayant examiné quelques-uns, j’ai trouvé des bibles et des traités religieux en grande majorité, et de plus quelques livres instructifs, entre autres des grammaires.
Un nouveau règlement pour les prisonniers, beaucoup plus sévère et plus parfait sous le rapport du classement des individus condamnés, a été introduit dans la maison depuis quatre mois. Voici en quoi il consiste principalement. Les prisonniers sont divisés en quatre classes. La première comprend les récidives [sic] et les criminels condamnés pour les crimes les plus graves; la seconde comprend tous les criminels non compris dans la première classe; la troisième, les condamnés à des peines correctionnelles, et la quatrième les jeunes gens et les améliorés. La sévérité du traitement va en diminuant successivement de la première à la dernière de ces classes. Les heures de travail sont égales pour tous, et la nourriture est la même. Mais la 4e et 3e classes sont assujetties au silence absolu, excepté à l’égard des chefs d’ateliers et surveillans pour des questions relatives à leur travail, ou à leurs besoins. La quatrième classe, pendant les heures accordées au repos, est renfermée dans les cellules, excepté une demi-heure, pendant laquelle les détenus descendent dans la cour, et exécutent des marches régulières, sans être libres de s’arrêter, ou même de s’adresser une seule question ou un seul mot. La troisième classe passe dans la cour tout le tems des récréations; les détenus sont libres de faire ce qu’ils veulent, pourvu qu’ils observent le plus parfait silence; la seconde et la première classes jouissent de toute liberté pendant leurs récréations, pouvant même jouer à des jeux d’adresse, le règlement n’exigeant d’eux que l’observation des lois de la décence. On a même embelli la cour destinée aux jeunes gens et aux améliorés, et [sic] y cultivant un petit jardin, orné de jolies fleurs. Lorsqu’un détenu a tenu pendant un certain espace de tems une conduite irréprochable et qu’il se manifeste en lui des germes d’amélioration morale, on le transfère dans la catégorie immédiatement supérieure. Pareillement, la persistance d’un individu dans la mauvaise conduite le fait transférer dans la classe inférieure, où on est plus rigoureusement traité. Cette espèce d’échelle morale produit une émulation qui a les plus heureux effets sur les détenus.
Le directeur de la prison, Mr Aubanel, qui a été pour moi de la plus aimable complaisance, m’a donné des détails fort intéressans sur la manière dont on s’est pris pour introduire le nouveau règlement. Quelque tems d’avance, il fut annoncé aux prisonniers que le règlement de la prison allait être changé, qu’on allait introduire un régime infiniment plus sévère, sans cependant entrer dans aucune explication ou détail. Cette menace mystérieuse produisit un excellent effet pour prédisposer les esprits à recevoir les changemens prochains, en leur inspirant un effroi et une terreur vague que l’imagination grossissait tous les jours. Enfin, à l’époque fìxée, toute la commission du Conseil d’État se rendit dans la salle d’inspection, tous les prisonniers y furent conduits, et là le président, après leur avoir adressé une grave et ferme allocution, leur donna lecture du nouveau règlement, on les enferma ensuite dans leurs cellules, en leur donnant à chacun une copie, et on les laissa trois jours pour méditer les nouvelles lois auxquelles ils allaient être soumis. Le directeur et les aumôniers visitèrent pendant ce tems tous les détenus et les exhortèrent à la soumission, en leur donnant toutes les explication possibles sur leur nouvelle manière d’être. Enfin, au quatrième jour, on proclama la mise en exécution du nouveau règlement, les détenus furent classés suivant qu’il le prescrit, et les travaux recommencèrent accompagnés du silence absolu pour les deux dernières catégories. Les mesures avaient été si bien prises qu’aucune tentative de révolte, ou même de résistance n’eut lieu, on vit seulement un profond abattement pour ceux assujettis au silence. Dans les premiers temps il fallut avoir recours fréquemment aux punitions pour infraction à cette loi sévère. Un seul mot est puni par la réclusion pendant toute la journée dans la cellule, avec privation d’un repas. La récidive entraîna des peines plus sévères, la réclusion prolongée pendant plusieurs jours, le pain et l’eau, enfin la cellule ténébreuse. Après quelque tems les détenus commencèrent à se faire au silence, et maintenant il n’y a guère plus de punition que par le passé.
Il paraît que le silence est plus pénible à proportion de la plus grande corruption. Ceux qui conservent quelque sentiment élevé, ou qui commencent à faire des efforts pour se régénérer, éprouvent une certaine satisfaction de se trouver à l’abri des discours pervers et obscènes de leurs compagnons plus pervertis. Une lettre d’un condamné à sa sœur contient là dessus des choses bien remarquables. Il se félicite de ne plus avoir à entendre les saletés et les iniquités dont il était obsédé par le passé et de pouvoir se livrer entièrement à ses réflexions.
J’ai été voir Mr de Sismondi, en compagnie du prince de Craon. Il m’a parlé avec un intérêt qui m’a étonné des rédacteurs de la Giovine Italia. Tout en blâmant leur exagération théorique et pratique, il croit avoir reconnu en eux des sentimens généreux et élevés. Il a beaucoup connu Mazzini, et il le juge incapable d’avoir trempé dans une affaire aussi horrible que l’assassinat de Rhodez. Bon Sismondi, comme son cœur sympathise vivement avec les malheureux italiens!
«La pitié est la dernière dignité d’une puissance déchue».
- Nomi citati:
- Eugène De La Rive, prince de Craon, Mr de Sismondi, Aubanel, Giovine Italia, Mazzini.
- Toponimi citati:
- Rhodez.