OTT
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1833

25 ottobre 1833 - 25 ottobre 1833


Diario:
1833.

      Ayant reçu hier une lettre de ma mère qui m’annonçait le retour de mon oncle et de ma tante de Tonnerre, et voulait les justifier à mes yeux, ma bile s’est tellement échauffée que je n’ai plus eu un moment de tranquillité jusqu’au soir où j’ai pu écrire à ma mère une lettre de quatre pages pleines d’acerbes récriminations contre mes tantes. Je me suis couché avec la ferme intention de la lui envoyer; mais fort heureusement, comme dit le sage, «la nuit porte conseil». Aussi ce matin, ma bile s’étant calmée, et ayant repris son cours ordinaire, j’ai tout tranquillement pris ma lettre et l’ai jetée sur le feu; non que je croie mes plaintes envers mes tantes fausses et exagérées, mais parce qu’il était absurde de les faire d’une manière aussi crue à ma mère, qui sera toujours disposée à se dissimuler la moitié de leur tort. Je me félicite donc de deux choses; primo, d’avoir écrit cette lettre hier au soir, car elle m’a tout-à-fait soulagé et m’a procuré une bonne nuit; secondo, de l’avoir brûlée ce matin suivant les conseils de la raison.
      Puisse-je me conduire toujours ainsi, et détruire tous les matins les actes dictés le soir précédent par le dépit et la colère.
      Cassio m’écrit qu’il a sa sœur malade chronique chez lui, et qu’il ne peut point encore prévoir ce qu’il fera cet hiver. Tout se réunit pour me contrarier.
      J’en étais sûr: maman m’écrit pour me prier de ne pas taquiner Auguste sur la manie qui lui a prise de parler comme sa sœur. Il faut absolument que je trouve cet enfant charmant de tout point.
      Il faut tout admirer, jusqu’à ses défauts.
      En vérité il finira par me rendre la maison insupportable.
      J’ai dîné chez l’évêque d’Albe, qui est un bon vieillard uniquement préoccupé des affaires de son diocèse et aimant, comme tous les vieux et les gens à petites idées, à raconter dans les plus grands détails les moindres faits qui se rapportent aux objets qui les intéressent. Le médecin Bertolino, qui est à la tête de l’hôpital des fous à Turin, était du nombre des commençaux [sic]. Il n’a pas parlé assez pour que j’aie pu me former une idée bien complète de son esprit; cependant, j’ai été satisfait du peu qu’il a dit. Il y avait aussi à dîner l’économe, un grand diable maigre, à voix tonnante, accent positif et la pose d’une personne accoutumée à régner despotiquement. Pendant tout le temps du dîner il n’a pas cessé un moment de parler, tranchant sur tout, couvrant avec son organe puissant la voix de tout le monde, et manifestant une aigreur cléricale contre tout ce qui n’est pas soumis au sacerdoce. Entre autre chose, il s’est emporté contre Pellico, l’a taxé d’hypocrisie, de fausseté, etc. Jusque là Bertolin avait supporté les violences de son voisin, mais il ne put plus y tenir lorsqu’il vit l’incomparable Pellico indignement attaqué; il a pris feu et, réunissant toutes les forces dont ses poumonts [sic] pouvaient disposer, il a tenu tête à l’économe et a même fini par le réduire au silence.
      Quelqu’un, je crois Monsieur Sacchieri, m’a envoyé copie du décret par lequel la ville d’Albe accorde droit de bourgoisie au comte Somis. Aux éloges que les beaux esprits du lieu m’en avaient fait je m’attendais à quelque morceau pédament [sic] ampoulé, et je n’ai pas été désappointé. Une grande page toute entière est consacrée à des pathos sur les distinctions et les récompenses civiques; il y est question des Grecs et des Romains, de la philosophie et de la république des lettres, et jusque d’un Licinius Archia, fort connu à Albe, mais dont j’avoue avoir ignoré l’existence. Cependant il paraît que l’avocat Casalegno, rédacteur de cette pièce, a un fond d’esprit et de bon sens. En effet, après avoir consacré la moitié de son papier aux lieux communs à l’usage des pédants d’Albe, dans la dernière moitié il énumère simplement et avec bon goût tous les titres que mon ami Somis a à la reconnaissance des habitants d’Albe, et finit, tout comme l’aurait pu faire un genèvois ou un anglais, par une phrase sentie de reconnaissance et d’affection.

                                    Réflexions de Th. Jouffroy sur la crise religieuse et philosophique
                                                              qui remplit le monde
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      De même que dans les sciences, les idées plus complètes succèdent à des idées moins complètes, des systèmes plus clairs et plus achevés à des systèmes moins parfaits et plus confus; de même, dans le travail de l’humanité toute entière sur le problème de la destinée humaine, l’humanité est allée de solutions plus obscures en solutions moins obscures, de solutions plus incomplètes en solutions plus complètes, par un progrès dont la rapidité n’a cessé de croître et dont le terme est indéfini […]. La raison qui fait qu’un certain dogme finit, ou, ce qui revient au même, qu’une certaine solution de la grande question de la destinée humaine est abandonnée, c’est que les lumières de la partie de l’humanité qui avaient accepté cette solution s’étant accrues avec le temps et se trouvant supérieures à cette solution, par la même cette solution ne peut plus suffire. Alors, du sein des ces lumières supérieures, sortent, d’abord le doute, et plus tard la création d’une nouvelle solution. C’est ainsi que se sont succédées les solutions sous la double forme de religions et de systèmes philosophiques, les unes pour les masses, les autres pour les esprits pensants […].
      Il est pressant de pourvoir à ce besoin de croyances nouvelles qui se fait déjà sentir dans les classes éclairées, et qui ne tardera pas à pénétrer dans les masses, et à y porter tous les élémens de trouble qui l’accompagnent. Comment y parvenir? Il est évident qu’il n’y a qu’un moyen, c’est de poser de nouveau l’éternel problème et de chercher la nouvelle solution qui l’attend. Quelle sera cette solution future? Je l’ignore; la seule chose que je puisse affirmer c’est que loin de détruire la précédente elle la contiendra.

      (Après avoir voulu démontrer qu’une nouvelle solution religieuse est impossible, il ajoute):
 
      Il ne reste donc, selon moi, pour venir au secours de la société menacée, qu’une seule voie, qu’un seul moyen, c’est d’agiter philosophiquement ces redoutables questions dont il faut une solution; c’est d’en chercher franchement, par les procédés rigoureux de la science, une solution rigoureuse aussi, qui puisse soutenir les regards sévères de cette raison, aux mains de laquelle la civilisation a fait passer le sceptre de l’autorité. Au fond, c’est là tout ce qu’ont fait et tout ce qu’ont pu faire ceux-là mêmes qui, dans une intention bienveillante pour les masses, enveloppent d’un voile religieux les essais de solutions qu’ils proposent; car si des esprits éclairés peuvent croire à l’utilité d’une pareille enveloppe, il ne dépend pas d’eux d’y voir autre chose qu’une figure . . .
      C’est par une loi nécessaire qu’une doctrine se produit, c’est par une loi nécessaire qu’elle règne; c’est par une loi nécessaire qu’elle passe quand sa mission est terminée. Celle du christianisme me semble avoir été d’achever l’éducation de l’humanité et de la rendre capable de connaître la vérité sans figure et de l’accepter sans autre titre que la propre évidence. Dès que cette œuvre est terminée dans un esprit, il est nécessaire que le christianisme s’en retire; mais en se retirant il emporte avec lui le germe de toute foi, et ce n’est jamais une religion nouvelle, c’est toujours la philosophie qui lui succède. Cette mission sublime du christianisme, elle est loin, bien loin d’être accomplie sur la terre. Elle ne l’est pas même entièrement dans ce pays, que sa civilisation place à la tète de l’humanité, elle est plus loin encore de l’être dans les autres parties de l’Europe, et elle est à peine commencée dans le reste du monde. Ceux-là sont bien aveugles qui s’imaginent que le christianisme est fini, quand il lui reste tant de choses à faire. Le christianisme verra mourir bien des doctrines qui ont la prétention de lui succéder. Tout ce qui a été prédit de lui s’accomplira. La conquête du monde lui est réservée et il sera la dernière des religions.

divisore
Nomi citati:
mère, mon oncle, tante de Tonnerre, Sacchieri, Cassio, maman, Auguste, sa sœur, Th Jouffroy, évêque d’Albe, Bertolino, Bertolin, Pellico, Somis, Licinius Archia, Casalegno.
Toponimi citati:
Albe, Turin, Europe.

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