OTT
23
1833

23 ottobre 1833 - 23 ottobre 1833


Diario:
1833.

      Le livre de Jouffroy contient une dissertation très profonde sur l’état de sommeil. Il est d’avis que l’âme ne dort jamais, c’est-à-dire que les facultés intellectuelles ne cessent pas un instant d’agir. Voici comment il développe la proposition.
      Il établit d’abord, par l’examen d’une foule de faits qui ont lieu dans l’état de réveil, que l’âme peut s’accoutumer à de certaines sensations qu’une longue répétition lui ont [sic] rendues familières, c’est-à-dire que les objets qui produisent en elle ces sensations perdent la faculté d’appeler son attention, ou au moins ne la conservent plus qu’à un très-faible degré. Il prouve également que cette faculté, que j’appellerais d’abstraction, ne dépend nullement des sens; que les phénomènes qu’elle produit sont de nature psychologique et non de nature physiologique. Passant ensuite à considérer l’état de sommeil, il observe que les sens engourdis transmettent à l’âme toujours les mêmes sensations, mais que, selon qu’elle y est plus ou moins habituée, l’impression produite est plus ou moins forte, tellement, que le bruit qui nous réveillait d’abord, finit par ne plus troubler notre sommeil. Qu’en outre, nos sens ne pouvant perdre rien de leur sensibilité par la répétition d’une même sensation, il faut nécessairement que ce soit l’impression faite sur l’âme qui varie, que par conséquent le fait du réveil doit être produit par l’action de l’âme sur les sens et non pas vice-versa, comme sont forcés de l’admettre ceux qui supposent que l’esprit est susceptible d’engourdissement.
      Jouffroy tire de ce principe, par des déductions ingénieuses, les conséquences suivantes:

      1) que les sens seuls s’engourdissent dans le sommeil, mais que l’esprit reste éveillé;
      2) que quelques uns de nos sens continuent de transmettre à l’esprit les sensations imparfaites qu’ils reçoivent;
      3) que l’esprit juge ces sensations et que c’est en vertu des jugements qu’il en porte qu’il éveille les sens ou ne les éveille pas;
      4) que la raison qui fait que l’esprit éveille les sens, c’est que la sensation tantôt l’inquiète, parce qu’elle est inaccoutumée ou pénible, tantôt l’avertit qu’il doit éveiller les sens, parce-qu’elle est le signe connu du moment où il doit le faire.
 
      (ceci se rapporte à la faculté bien connue, que beaucoup de personnes ont, de se réveiller à une heure donnée, quand elles en ont pris la ferme résolution de le faire avant de s’endormir);
     
      5) que l’âme a le pouvoir d’éveiller les sens, mais qu’elle n’y parvient qu’en surmontant par son action l’engourdissement qui les entraîne; et que cet engourdissement est un obstacle à vaincre, qui existe plus ou moins profond.

      Par ces mêmes principes, Mr Jouffroy tâche d’expliquer en quelque sorte les phénomènes du somnambulisme magnétique. Voici ce qu’il dit:

      Supposons un engourdissement très profond des sens, et un esprit fortement préoccupé de l’idée qu’il doit faire attention pendant son sommeil à certaines sensations extérieures et intérieures. Quand la voix du magnétiseur se fera entendre à son oreille, l’esprit du dormeur, reconnaissant les sons qu’il a résolu de remarquer, concentrera son attention sur ces sons, les comprendra et y répondra: car le sommeil, on le sait assez, n’ôte pas la faculté de parler. Si cette voix lui ordonne avec autorité de faire attention à ce qu’il éprouve dans certaines parties de son corps, et qu’il se soit déjà pénétré, en s’endormant, de la volonté de le faire, il obéira et il discernera les plus petites sensations qui affecteront l’organe indiqué, tandis qu’il demeurera insensible à des sensations plus fortes qu’il éprouvera ailleurs. Endormez-vous avec l’idée que vous avez des punaises dans votre lit, les plus petites démangeaisons troubleront votre sommeil. […] On conçoit aussi comment l’esprit ayant la faculté d’éveiller les sens ou de ne pas les éveiller, le dormeur reste endormi tant que le magnétiseur le veut, et s’éveille aussitôt qu’il le lui ordonne ou qu’il le touche d’une manière convenue.

      Au reste cette explication est tout-à-fait incomplète de l’aveu même de l’auteur. Elle n’acquiert un degré satisfaisant de clarté et de rigueur que quand on y ajoute des considérations sur les deux différents modes dont peuvent agir nos facultés. Considérations que Mr Jouffroy a indiquées, sans les approfondir, dans l’article suivant de son livre, intitulé Des facultés de l’âme humaine. Je trouve dans Jouffroy une logique si éclairée et si rigoureuse et une absence si complète d’esprit de système et de dogmatisme, qu’il me ferait presque prendre du goût pour la métaphysique. Quelle difference entre Jouffroy consciencieux, laborieux, persévérant et ingénieux, et ce charlatan de Lerminier, toujours ivre de ses propres paroles!

divisore
Nomi citati:
Jouffroy, Lerminier.

Allegati