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1833

21 settembre 1833 - 21 settembre 1833


Diario:
1833.

      C’est vraiment étonnant comme dans un même moment on débite, confirme et nie les nouvelles d’événements qui intéressent la politique générale, et tout cela par des personnes également consciencieuses et placées de manière à ne pas pouvoir pas être volontairement induites en erreur. Mr de Salles écrivait hier, vendredi, à ma tante, que les nouvelles que la Gazette donnait des succès de Bourmont, et de la prise par lui du faubourg de Bélem étaient vraies. Un courrier espagnol les avait apportées, et on les lui avait communiquées d’une manière positive. Eh bien! ce matin tous les journaux ministériels, y compris le Moniteur, démentent, sur l’autorité des dépêches du même courrier espagnol dont parle Mr de Salles, la nouvelle donnée de la prise par Bourmont d’un faubourg ou fort de Lisbonne. De quel côté est la vérité? Lequel des deux, de Mr de Salles, ou du minister, s’est laissé entraîner par ses sympathies politiques? Les journaux d’aujourd'hui, en nous donnant probablement des nouvelles par la voie de l’Angleterre, nous tireront d’incertitude.
      J’ai lu dans la Revue d’Edimbourg du mois de décembre 1830, une analyse de la seconde édition du traité d’économie politique de Mac Culloc, qui contient des choses fort remarquables, surtout sur le grand principe de la population. À ce sujet, le journaliste, citant et commentant Mac Culloc, répond victorieusement à ceux qui repoussent la vérité du grand principe de l’accroissement indéfini au-delà même des moyens de subsistance, comme une injure faite à la divinité Il prouve que cette loi immuable est la cause principale des efforts constants et redoublés de l’espèce humaine pour augmenter ses moyens de puissance et d’action; et que presque tous les grands progrès de l’industrie lui sont dus. En effet, la crainte de perdre ce que l’on possède et de tomber, soi et ses enfants, dans une position inférieure à celle que l’on occupe, est un stimulant bien plus fort au travail et au perfectionnement que le simple désir d’améliorer son sort. La loi de la population est donc une de celles qui contribuent le plus au développement de l’humanité, et par conséquent, elle honore la providence divine, loin d’être incompatible avec elle. Mais comme toutes les autres lois morales, les hommes peuvent en abuser, de bien de manières, et en voulant forcer son action déjà assez puissante par toute sorte de moyens factices et contraires à la nature, soit en tâchant de restreindre ou même de détruire les freins et les obstacles qui modèrent, d’une manière admirable, son action.
      Du principe de population, un Anglais est amené tout naturellement à examiner les effets de la taxe des pauvres. À ce sujet, Mac Culloc avoue franchement qu’une étude plus approfondie de la question le fait revenir sur l’opinion qu’il avait précédemment émise, et que maintenant il s’est convaincu que, contre la croyance généralement répandue et qu’il avait lui-même partagée, la taxe des pauvres n’a pas contribué, au moins d’une manière générale, et surtout tant qu’on s’en est tenu aux règlements qui ont accompagné son établissement, à rompre l'équilibre entre la population et les moyens de subsistance. En effet, si la taxe des pauvres excite aux mariages imprudents les personnes qui n’ont d’autres ressources que leur travail; d’une autre part, la loi donna aux magistrats propriétaires dans les paroisses, un empire fort étendu sur la population pauvre qui est à leur charge, ceux-ci ont un intérêt constant à prévenir et empêcher tous les mariages qui auraient pour effet d’augmenter la population nécessiteuse. Aussi, tant que cet empire, que les statuts de Charles I, Charles II, de Guillaume et de Georges I avaient assuré en le réglant, a subsisté dans toute sa force, on a vu la population ouvrière augmenter dans un rapport moins grand que les capitaux destinés à lui donner de l’ouvrage, et son salaire s’est successivement accru. Ces résultats sont tout à fait naturels; en effet, les considérations de prudence et d’avenir ont bien peu d’influence sur les classes infortunées de la société, qui, accablées sous le poids de leurs privations présentes, se refuseront difficilement la seule jouissance qui leur soit possible de se procurer, en vue des inconvéniens lointains qu’entraîne un mariage imprudent. Tandis que les classes aisées, qui ont à supporter les suites de ces sortes de mariages, useront de toute l’influence que la loi et leur position sociale leur donnent, pour ne permettre que ceux que la prudence approuve.
      Les lois sévères sur l’administration de la taxe des pauvres subsistèrent jusqu’en 1795, et à cette époque, quoique la population se fût accrue dans une proportion très rapide, la taxe des pauvres ne s’élevait pas à un million sterling et demi, ce qui, si l’on considère la valeur des objets de première nécessité en Angleterre, et la manière dont les pauvres étaient secourus, indique un rapport plus faible que dans tout autre pays de population nécessiteuse. Mais alors, soit par un sentiment irréfléchi d’humanité, soit pour se concilier les dernières classes du peuple, qu’on craignait voir atteintes du même besoin d’independance et de bouleversement [sic] qui agitait les nations du continent, soit enfin à raison du renchérissement du prix des céréales, qui, en aggravant la position des pauvres, donnait de tels profits aux propriétaires et fermiers, qu’ils se trouvaient plus disposés à se relâcher de leur sévérité dans l’exécution de la loi; on abolit la plupart des restrictions qui étaient imposées aux prolétaires. Un pauvre put dès lors s’établir dans une paroisse, sans être tenu d’obtenir l’autorisation des magistrats; il lui fut assuré un droit positif aux secours de sa paroisse, sans obligation d’être renfermé dans une maison de travail. Enfin, il s’établit dans plusieurs comtés du sud d’Angleterre le funeste système de l’allowance, par lequel il fut établi que chaque famille avait droit à une somme proportionnée au prix des cereals, et au nombre d’individus dont elle se composait, que si les salaires, gagnés par tous les membres de la famille, ne l’égalaient pas, la paroisse était tenue de la compléter. C’est aux suites désastreuses de ce nouveau principe, dont l’absurdité et les inconvénients sont évidens, que Mac Culloc attribue la misère des populations du midi de l’Angleterre, et il conseille, comme unique remède le retour à l’ancien système dont les heureux effets avaient produit un état d’aisance dans le peuple sans exemple [sic], en usant, s’entend, tous les ménagemens que nécessite une transition toujours pénible pour le pauvre, et en y introduisant toutes les améliorations dont il est susceptible, sans qu’elles nuisent à son effìcacité. Les autres parties du livre de Mac Culloc sont à peine indiquées dans l’article, qui se contente de louer sa distribution, la netteté de ses raisonnemens, et la logique forte et agréable. Il faut absolument que j’achète ce livre.
      À table, il y a eu une discussion si vive que je pourrais l’appeler acerbe, au sujet de l’Amérique. Mon oncle et ma tante prodiguaient à l’envi toutes les injures possibles aux Américains, et ce qu’il y avait de plus irritant, c’est qu’ils profanaient le nom du respectable Mr Gallatin, en s’appuyant de sa prétendue autorité pour blasphémer ses concitoyens d’adoption. P[aul]-É[mile], qui assistait au dîné, prévenu par quelques traits de la rudesse démocratique des mœurs américaines qu’on lui avait racontées, s’est rangé, quoique avec modération, du côté des détracteurs des États-Unis. Pour lui, il ne peut rien y avoir de plus affreux qu’un pays où les domestiques répugnent à donner le nom de maître à celui qu’ils servent. Si mon brave cousin avait réfléchi un moment, il se serait convaincu que cette répugnance n’est autre chose que l’exagération du sentiment le plus élevé de la nature humaine, celui de la dignité personnelle; que, quel que soit l’état de la société, on doit s’attendre à voir les principes sur lesquels elle est basée, exagérés et poussés à leurs dernières conséquences par les masses plus passionnées que raisonnables, ce qui produit des résultats ridicules et souvent même absurdes, et qu’enfin, si l’on veut juger impartialement des qualités de deux peuples, il faut comparer successivement, d’abord le mérite des principes fondamentaux de leur état social, ensuite les conséquences exagérées qu’on en tire et les inconvéniens qui en dérivent.
      Ainsi, dans le cas de l’Europe et de l’Amérique on voit deux états sociaux. L’un basé sur le principe de la dépendance de l’homme envers son semblable, modifié par les institutions et les idées qui lui sont opposées, mais toujours vivant et plein de force; l’autre ayant pour principe l’indépendance absolue de l’homme vis-à-vis de l’homme. Lequel des deux principes est plus élevé, plus noble, plus rapproché des maximes sublimes de l’Evangile? Je laisse répondre tout homme impartial. Après ce premier rapprochement, on peut et l’on doit examiner les inconvéniens, les exagérations, les conséquences fâcheuses, absurdes, funestes ou ridicules qu’entraînent ces deux principes. Cet examen serait bien long, et je doute fort que les passions et les préjugés qui animent certaines personnes, leur permettent jamais de le faire. Je remarquerai seulement ici que si nous autres maîtres insolents sommes étonnés et choqués de la fierté des classes inférieures américaines, celles-ci seraient bien plus choquées et affligées du manque absolu de dignité qui se trouve dans nos domestiques et la plupart de nos ouvriers, qu’aucune injure ne rebute, aucun mauvais traitement ne révolte.
      Mon oncle Tonnerre a mis un tel intérêt à cette discussion qu’il m’a boudé et me boude encore.

divisore
Nomi citati:
Gazette, Mr de Salles, Moniteur, Mac Culloc, Bourmont, Mac Culloc, Revue d’Edimbourg, Charles I, Charles II, Guillaume, Georges I, oncle Tonnerre, Gallatin, P[aul]-É[mile], mon oncle, ma tante, brave cousin.
Toponimi citati:
Angleterre, Europe, Amérique, Bélem, Lisbonne, États-Unis.

Allegati