DIC
21
1833

21 dicembre 1833 - 31 dicembre 1833


Diario:
1833-1834.

      La maladie d’Adèle s’est faite grave; on a appelé de nouveaux médecins qui, par l’incertitude qu’ils ont jetée sur la nature de la maladie, ont fait suspendre les moyens énergiques employés jusqu’alors par le médecin Tarella. Le mal a empiré. Le 24 le délire a commencé; son premier effet a été de lui faire faire une scène violente à son mari qu’elle a accablé d’injures, de celles dont elle se servait dans ses jours de grande colère. Dans la nuit, le délire a pris une couleur plus calme. Ce n’a plus été que des discours sans ordre et sans suite. Le lendemain 25 elle s’est de nouveau exacerbée et le délire est devenu frénétique; elle voulait se jeter à bas du lit, et elle menaçait du poing ceux qui voulaient l’en empêcher; les injures n’étaient pas épargnées. À moi, elle m’a dit que je lui faisais l’effet du diable. Le soir, après la visite des médecins qui parurent fort mécontens, Gustave m'entraîna dans sa chambre, se jeta sur son lit et, après avoir beaucoup pleuré, il me fit la description de tout ce qu'il sentait, en me priant de la mettre par écrit pour qu'elle restât comme une attestation de son état moral dans ce douloureux moment. J'ai dans la suite rempli ses intentions; j'ai écrit sa confession et je la conserve pour la lui remettre quand il le voudra, ou, s'il meurt sans me la redemander, pour la donner à Auguste selon les intentions de Gustave.
      J'ai fait à cette occasion une bien curieuse observation. Certes, Gustave était bien profondément affligé, il m'en donnait des preuves non douteuses, et d'ailleurs il n'a jamais su grimacer la douleur. Eh bien! ce qui dans ce moment l'occupait à l'égal de ses pensées sur sa femme, c'était l'état de ses nerfs. Dix fois il s'interrompit pour me dire: «Tâte-moi le pouds [sic], mes nerfs sont dans un état affreux, je ne connaissais pas d'état si violent». L'homme faible, accoutumé à s'écouter sur toute chose, ne peut pas, même dans les plus tristes circonstances, s'empêcher de s'occuper et de s'inquiéter de ce qui regarde son état physique et moral. Cette disposition, à ne se jamais oublier, a peut-être été augmentée chez mon frère par les soins continuels qu'on l'a forcé à donner à sa santé dès sa plus tendre enfance.
      Le reste de la maladie d’Adèle n’a plus été qu’une longue suite de souffrances, qui variaient continuellement. D’abord elle est tombée dans une torpeur mortelle, ensuite elle en est sortie pour tomber dans les convulsions violentes, qui ne l’ont plus quittée jusqu’à sa mort. Depuis le 29, tout espoir a été perdu, nous attendions à chaque instant la funeste catastrophe. La force de la jeunesse l’a retardée pendant trois jours. Quels jours, que ceux-là!! Quel spectacle que celui d’une femme jeune et charmante sur son lit de mort, n’ayant plus d’espoir et de consolation que dans les paroles qu’un prêtre commun lui répète de temps en temps. Le danger était regardé comme si imminent, que deux nuits de suite nous avons dit tous ensemble, autour de son lit, les prières des agonisants. Que ces prières qu’on récite comme pour adoucir le passage de la vie à la mort, sont imposantes et terribles. Ces litanies des saints, ce lugubre Ora pro eo, ces Oremus, où l’on ne s’adresse plus qu’à l’âme du mourant, tout cela est éminemment tragique. Jamais culte n’a rien imaginé de plus terrifiant. Celui qui y croit, quelle puissance ne doit-il pas attribuer à cette église, à ce culte, à ce prêtre, qui paraissent dans ce monde tenir dans leurs mains les clefs du ciel et de l’enfer. Après ce que j’ai vu, loin de m’étonner des donations immenses que le clergé avait extorquées dans le moyen âge aux mourants, je m’étonne qu’il ne fût pas parvenu à se rendre l’unique propriétaire du pays.
      Le marquis de Lascaris n’a plus quitté le lit de sa fille pendant ces derniers jours. De temps en temps il lui adressait des paroles de consolation religieuse. C’était un admirable tableau. Cette femme belle, jeune, forte, énergique sur le lit de mort, et à côté de son lit, dans la ruelle, la figure tragique et noble de son père, qui l’exortait à la prière et à la résignation.
      J’ai eu lieu à faire bien des observations sur ce lit de mort et les personnes qui l’entouraient. J'ai vu bien des degrés de douleur et bien des variétés de grimaces qui parodiaient la douleur. Mais même ici je n'ose les consigner. D'ailleurs, ce serait inutile; elles sont gravées au fond de mon cœur en caractères ineffaçables.
      Après des souffrances inouïes, Adèle, cette chère Adèle est morte le 31 décembre, à minuit juste. Elle emporte dans la tombe ma sincère amitié. J'avais toujours eu toute sa confiance; combien de secrets maintenant ensevelis dans la tombe, qui n'ont plus d'autres dépositaires que mon cœur; ceux-là personne au monde ne les saura.

divisore
Nomi citati:
Adèle, Tarella, son mari, Gustave, marquis de Lascaris, Auguste, son père, mon frère,sa fille.

Allegati