NOV
20
1833

20 novembre 1833 - 05 dicembre 1833


Diario:
1833-1834.

      D’Haussonville, secrétaire de la légation de France, a été attaqué d’un violent point de côté. Mr de Barante étant absent, sa femme a pris la direction du malade, et moi je me suis placé sous ses ordres pour le soigner en concurrence avec Ser Angeli et Borsarelli. L’inflammation qui s’était manifestée de la manière la plus alarmante parut céder, dès le second jour, aux moyens énergiques que les médecins, Rossi et Battaglia, employèrent. Le troisième et le quatrième jour de maladie se passèrent si bien que tout le monde crut le danger passé. Mme de Barante s’était tout à fait rassurée et nous tous chantions victoire. Mais, au redoublement du cinquième jour, l’inflammation reparut avec les mêmes symptômes menaçants, les médecins eurent immédiatement recours aux moyens dont ils s’étaient déjà servis et ils firent saigner deux fois le malade dans la soirée. Grâce à ces deux opérations, la nuit fut plus tranquille et le lendemain les médecins crurent pouvoir dissimuler le danger. Malgré les paroles rassurantes de ces messieurs, étant bien convaincu de la gravité de la maladie, j’ai vivement insisté pour que l’on prévînt Mr de Barante de l’état réel des choses et qu’on l’engageât à revenir sur le champ. Mais malgré les assurances que me donnèrent Mme de Barante et sa fille, que mon avis serait suivi, une autre influence, qui prenait plaisir à me contrarier depuis le commencement de la maladie, prévalut, et les lettres à Mr de Barante furent écrites de manière à ce qu’il ne soupçonnât pas le moindre danger. Le soir de ce même jour, l’inflammation se porta soudainement à la tête, causant au malade des douleurs atroces. Le médecin Battaglia, qui arriva le premier, jugeant de l’imminence du danger, crut qu’il n’y avait pas un instant à perdre, et il fit faire de suite une forte saignée au pied du malade. Mr Rossi arrivant sur ces entrefaites, Mme de Barante courut lui annoncer la réapparition du danger, la saignée faite, et son inquiétude mortelle. Dès que ce docteur apprit qu’on avait opéré sans lui, qu’excité [sic] par le ressentiment de son amour-propre blessé, il déclare que cette saignée doit tuer le malade, qu’on vient de lui enlever ce que lui restait de force vitale, que la fièvre cérébrale va se déclarer, et qu’en un mot, Mr d’Haussonville n’en a plus pour douze heures. Cette scène scandaleusement brutale jeta tous [sic] le monde dans la consternation; chacun pleurait et se désolait de son côté, croyant qu’il n’y avait plus de ressources. Enfin, le docteur Battaglia, qui pendant toute cette scène n’avait pas perdu un instant son admirable sang-froid, parvint à établir un peu de calme, assurant que le docteur Rossi se trompait complètement, que le malade avait encore des forces suffisantes pour supporter cette crise terrible et que, quoique il y eût un danger fort grave, tout espoir était bien loin d’être perdu. Cependant, comme sa responsabilité se trouvait tout à fait compromise, il crut devoir déclarer qu’il était nécessaire d’appeler un prêtre et d’annoncer au malade qu’il était tems de penser aux soins de son âme.
      Ici commence une série de faits qui, s’ils n’avaient pas eu lieu au chevet du lit d’un moribond, m’auraient amusé extraordinairement. D’abord, mon père voulut se charger de cette annonce et comme raison principale de la nécessité de l’intervention d’un prêtre il se garde bien de faire valoir le salut de l’âme du malade, la responsabilité de Mme de Barante, les bruits fâcheux de la ville; non, il déclare que le médecin Battaglia étant médecin de la Cour et du Roi, sa place le mettait dans le cas de sauver sa responsabilité morale vis-à-vis du public. La nécessité du prêtre ayant été établie en principe, on en vint à discuter l’individu. Mon père, toujours dans les mêmes idées de ménagements extérieurs, insistait fortement pour le curé de Saint-Charles, avec lequel on peut jouer toute espèce de farces religieuses. Mon frère et moi, mûs par un sentiment de conscience, nous nous y sommes formellement opposés, au point d’exciter la colère de papa. Dans un moment de puritanisme moral, nous insistâmes pour Peyron, comme le prêtre le plus éclairé à notre connaissance. Mais nous cédâmes bientôt aux raisons qui nous furent données et à une plus sérieuse considération. Après bien des débats, je proposai le père lecteur, ce qui fut approuvé. Je fus chargé d’annoncer au malade la nécessité de l’intervention d’un prêtre, et de le lui amener. À cet effet, je me rendis près de lui à cinq heures du matin et, dès qu’il fut réveillé, je lui dis tout simplement que l’usage du pays voulait que, lorsqu’une maladie grave se prolongeait au-delà d’un certain tems, on fit appeler un prêtre. Sans répliquer un seul mot, il me répondit: «C’est tout naturel, amenez-moi qui vous voulez; voyez seulement que ce soit quelqu’un qui ne veuille pas me convertir». Lui ayant demandé si un moine lui aurait répugné, il me dit: «Au contraire, je les aime beaucoup; j’espère cependant que le vôtre aura du liant dans l’esprit». Cet avis avait dû [sic] convaincre d’Haussonville que nous le considérions dans le plus grave danger, ce dont ses treize opérations devaient d’ailleurs lui avoir appris. Eh bien, je ne l’ai pas vu un moment inquiet. Le prêtre est venu, il a longuement causé avec lui, sans bravade philosophique, sans piété affectée, enfin comme l’aurait pu faire un philosophe écclectisque [sic] dans les moments les plus calmes de sa vie. Le moine sortit enchanté du malade, à peu près convaincu qu’il parviendrait à le convertir, fesant ses éloges à tout le monde. J’entrai dans la chambre aussitôt après: «Eh bien, comment avez-vous trouvé mon moine?» lui ai-je demandé: «Mais il est fort bien, dommage qu’il n’est [sic] pas de barbe». Cette réponse si plaisante et en même temps si bienveillante, faite au moment où le danger paraissait le plus grave, prouve plus en faveur de la force de caractère et de la puissance de conviction de d’Haussonville, que ne l’auraient pu faire toutes les professions de foi imaginables.
      Le père lecteur revint dans le courant de la journée, croyant à l'imminence du danger, pour pouvoir, le cas échéant, administrer d’Haussonville. Ser Angeli, le plus grand finassier que je connaisse, poussé par son zèle voltérien [sic] contre les moines, parvint à manœuvrer en sorte de ne pas laisser le père pénétrer dans la chambre du malade. Cette intolérence [sic] philosophique, qui contrastait si fortement avec la calme et bienveillante raison de d’Haussonville, jointe à quelques grimaces de religiosité hypocrite que mon homme faisait pour complaire à Mme de Barante, m’irritèrent au point que la discussion s’étant engagée sur les événemens de la journée, je me suis peu à peu animé jusqu’à en venir presque aux gros mots avec Mme de Barante, qui de son côté était toute rouge de colère. Dès que ma bile s’est dissipée, j’ai été tout honteux de mes emportements et il ne m’est resté d’autre parti à prendre qu’à confesser mes torts et à en demander pardon. La colère est une bien sotte conseillère. Patience, si elle ne nous fesait commettre que des imprudences; mais, ce qui est pis, c’est qu’elle nous fait faire des bêtises, qu’à peine avec tout l’esprit du monde il est à peine possible de réparer.
      De ce jour d’Haussonville n’a pas cessé un instant de marcher vers la guérison, et il a vu le danger s’éloigner et se dissiper avec autant de calme et de sérénité qu’il avait montré de courage, lorsque le danger était imminent.

divisore
Nomi citati:
D’Haussonville, Mr de Barante, sa femme, Ser Angeli, Mme de Barante, Borsarelli, Rossi, Battaglia, mon père, curé de Saint-Charles, Mon frère, Peyron, sa fille, papa.
Toponimi citati:
France.

Allegati