LUG
20
1834

20 luglio 1834 - 20 luglio 1834


Diario:
1834.

Lorsque sur tes genoux me tenant embrassée
Ta bouche sur la mienne est doucement pressée,
Quand tes regards cherchent mes yeux,
Comme si de mes jours l'on déliait la trame,
Je ne sens plus la vie et je crois que mon âme
A pris son essort vers les deux.
                                                           Vinadio
 
      Tout est expliqué. C'est S.E. le gouverneur qui par une infamie, dont je l'aurais cru lui-même incapable, a causé les scènes que Mr J[ustiniani] a faites à sa femme. Sur les instances du père Schiaffino, ou poussé par un autre motif à moi inconnu, Mr de Revel a fait saisir à la poste deux des lettres que Nina m'écrivait et sans se gêner, il les a envoyées au mari. Dans ces lettres Nina, effrayée par les menaces de son père, parlait de son désespoir et de sa détermination de tout tenter plutôt que de renoncer à son amour. Mr J[ustiniani] a interprêté cette déclaration comme s'il s'agissait d'un projet déterminé d'enlèvement, et il a cru que je venais à Vinadio pour l'exécuter; voilà ce qui l'a mis si fort en colère, qui a motivé le discours pathétique qu'il fit à sa femme le 10 courant. Quelques jours après, il reçut une lettre de son beau-père, qui jetait feu et flamme contre sa fille, et prodiguait contre elle des menaces dont le treizième siècle même aurait rougi. Mr J[ustiniani] crut qu'elle lui fournirait un excellent moyen d'obtenir de sa femme ce qu'il voulait: c'est-à-dire de renoncer à me voir pour le moment et de retourner de suite à Gênes. En effet, il lui communiqua la lettre qu'il venait de recevoir, y ajouta plusieurs choses dans le même sens et finit par déclarer que le lendemain même il comptait partir. Nina fut sublime; elle refusa net de s'en aller avant de m'avoir vu, et déclara que, fût-elle assurée de mourir, elle était décidée à m'attendre à Vinadio. Il faut qu'il y eût quelque chose de bien imposant dans la manière dont elle manifesta sa courageuse détermination, car le pauvre Steva en fut tout glacé. Il voulait bien contraindre sa femme en usant même quelque légère violence, mais il était loin de vouloir en venir à des scènes tragiques. Au fond il est fort bon, quoique un peu léger; d'ailleurs, les torts nombreux qu'il a eus vis-à-vis de sa femme lui pesaient sur la conscience, et lui ôtaient le droit d'user d'une trop grande sévérité envers elle. Voyant donc sa femme prête à se porter aux dernières extrémités, il s'attendrit et lui dit qu'il ne voulait point sa mort, qu'il avait cru remplir envers elle un devoir d'amitié, en tâchant de se livrer à une passion qui pouvait avoir pour elle les suites les plus funestes; mais que, puisqu'elle croyait au-dessus de ses forces de la vaincre, et qu'il y allait de sa vie, il cessait de s'opposer à ce qu'elle m'aimât; qu'il retarderait son départ jusqu'après mon arrivée; mais que seulement il exigeait d'elle des égards dûs à sa position et à son nom. En fesant cette touchante déclaration le pauvre homme s'émut, et finit par pleurer; Nina qui versait des larmes depuis longtems, ne put y résister, et lui sauta au cou et l'embrassa. Touchante réconciliation. Une femme et un mari s'embrassant tendrement pour célébrer la permission authentique que celui-ci donne d'être fait mysanthrope. Tout était bien jusqu'ici dans ce que Mr J[ustiniani] avait fait; mais bientôt, la légèreté naturelle de l'homme du monde reprit le dessus, et pour fair parade d'une philosophique indifférence tout à fait déplacée, il se mit le lendemain à vouloir faire à sa femme la leçon sur la manière dont elle devait se conduire envers moi. Entre autre chose extraordinaire, il lui dit: «Rappelle-toi que les hommes se fatiguent bientôt des femmes; qu'ils ne leur restent attachés que pendant un tems plus ou moins long, mais qui finit toujours; ainsi je te conseille de ne pas faire l'oie et de ne point te laisser quitter: dès que tu verras que C[avour] commence à se refroidir, devance-le et envoie-le promener tout de suite». A-t-on jamais vu une chose pareille?
      À mon arrivée, j'ai trouvé toutes les choses arrangées. Richard m'a mené chez elle qui m'attendait; le mari m'a fait un excellent accueil, et tout s'est passé le mieux du monde! Mr J[ustiniani] s'étant apperçu que Richard était dans la confidence, prit le parti de s'ouvrir à lui, d'abord pour avoir des renseignemens sur ma moralité, ensuite pour l'engager à me répéter à peu près ce qu'il avait déjà chargé sa femme de me dire. Je lui ai fait exprimer par Richard toute ma reconnaissance, et la disposition où j'étais de me conformer à tout ce qu'il croirait à propos pour sauver les apparences et ne pas blesser les lois de la décence et du décorum. Richard a été admirable, il a joué le rôle du monde le plus comique, s'efforçant de contenter tout le monde et de concilier les exigences de la morale avec la complaisance d'un homme du monde. Ainsi tandis qu'il remettait à Mme Nina mes lettres, il lui fesait de longs discours pour l'engager à les brûler et à m'oublier! À moi, il tâchait de me représenter N[ina] comme un peu timbrée, et comme ayant déjà eu plusieurs intrigues. Enfin, à Steva il prêchait la patience, la douceur, qui lui vaudraient, disait-il, tôt ou tard le retour de l'affection de sa femme, en ajoutant: «Et si parfois il vous prenait fantaisie de vous passer quelques légers caprices, faites que cela ne se sache pas». Il n'est pas besoin de dire quel immense effet les discours de Richard ont produit sur nous tous. Ce qu'il y a de sûr, c'est que lui en a été enchanté, et surtout il a été persuadé d'avoir puissamment agi sur l'esprit du marquis.
 
      Nina sait parfaitement l'anglais; j'ai découvert avec ravissement qu'elle avait lu et goûté tout Shaekspeare [sic]: elle sait même par cœur une foule de morceaux de cet incomparable auteur.
      Elle m'a fait sa confession pleine et entière, elle n'a dissimulé aucune de ses fautes, et en vérité je l'en aime mieux, quoiqu'il y ait bien quelques légères peccadilles; mais il faut se mettre dans ses circonstances et alors tout s'explique, et il n'y a pas besoin d'une grande indulgence pour tout excuser.
      J[ustiniani] m'a fait dire qu'il partait le dimanche matin, et il m'a prié de partir le jour d'avant, libre à moi d'aller attendre sa femme à Coni. C'est ce que j'ai fait; et maintenant je suis ici écrivant à la fenêtre, l'attendant avec impatience. Il est déjà six heures, je commence à être inquiet, et pour me calmer je m'en vais aller à sa rencontre.

divisore
Nomi citati:
Mr J[ustiniani], Mr de Revel, Steva, Nina, son père, mari, Richard, beau-père, sa fille, sa femme, N[ina], Shaekspeare, J[ustiniani].
Toponimi citati:
Gênes, Vinadio, Coni.

Allegati