AGO
15
1834

15 agosto 1834 - 15 agosto 1834


Diario:
1834.

      Pendant les derniers tems de mon séjour à Vaudier, il s'est passé d'étranges choses entre Mme de G[uasco] et moi; je lui ai avoué être lié à une autre femme; là-dessus elle m'a fait des scènes du diable, elle a voulu se jeter par la fenêtre, et autres sottises pareilles. Le malheur a voulu que ce soir-là sa sœur en se baissant fît un effort qui causa beaucoup de mal. Cette complication aggrava beaucoup l'état de madame et peu s'en fallut qu'elle ne rompît décidément avec moi. Par je ne sais quelle inspiration, il me vint dans la tête de m'assurer le silence du domestique de madame, qui avait été témoin de tout, par le don d'une pièce de 100 francs. Cette générosité, je crois, eut un effet admirable; la marquise me déclara d'abord que si elle ne pouvait être mon amante, elle serait mon amie, et puis peu à peu elle fit si bien, que je me retrouvai dans ses bras. Depuis lors les choses cheminèrent comme à l'ordinaire; seulement cela devint tellement patent que personne aux bains ne put plus douter de ce qui se passait entre nous deux. Enfin nous nous séparâmes le dimanche 10 août. Le soir je fus avec ma mère à Vaudier. Cependant pour donner à madame une preuve d'amour peu commune, je partis après soupe de Vaudier; il était dix heures du soir; je courus jusqu'aux bains, passai une heure dans le lit de madame et m'en retournai à mon auberge où j'arrivai à trois heures et quart. Ce sont de ces choses qu'on ne fait qu'une fois dans la vie. Elle m'a valu un fort aimable billet de madame écrit avant de quitter les bains.
      «Camille, je n'oublierai jamais cette course si longue faite pour me voir quelques instans, mon ange bien-aimé, je t'appartiens, je me le répète à tout moment, et je jouis d'avoir pu encore te donner cette preuve d'affection». Quelle différence entre sa manière d'écrire et celle de Nina.

      En arrivant à Santena, j'ai trouvé deux lettres de Nina; elles étaient de dix pages chacune, pleines de sentimens exaltés, de pensées sublimes et d'expressions enchanteuses. Je ne délaisserai jamais cette femme-là, dussé-je pour elle renoncer à toutes les dames du monde. Je ne transcris plus aucun fragment de ses lettres, ce serait trop long, car si je voulais noter ici tout ce qui est remarquable, il me faudrait les copier d'un bout à l'autre, et je n'en ai pas le tems.

      Papa m'a fort bien accueilli; mes intrigues l'amusent et lui plaisent. Il préfère toute chose à l'oisiveté et à l'inaction, et d'ailleurs il n'a pas pu se dépouiller des vaines notions du monde, qui font un mérite réel des succès de femmes. Il en est presque fier pour moi.
      Il m'a confié, sous le sceau du secret le plus absolu, que tout dernièrement Villamarina, le ministre, lui avait offert la place de vice-roi de Sardaigne, et que lui, croyant que cette offre ne partait que de lui, l'avait refusée; que le roi ensuite l'avait fait appeler et lui avait fait des reproches aimables, mais sans insister vivement pour qu'il rétractât son refus. Papa paraissait fâché d'avoir laissé échapper une aussi belle occasion de donner à son immense et insatiable activité une occupation à la hauteur de son habilité [sic]; il m'a mal déguisé ses regrets. Cependant il n'est point encore sans espoir: le roi lui a offert la place de vicaire; sans la refuser, lui il a insisté pour que les réformes proposées par lui et approuvées par le ministre, fussent effectuées avant qu'une nomination définitive eût lieu. Ce conseil a paru être goûté et il a été congédié avec les plus belles et les plus flatteuses paroles. Je crois qu'il est dans l'intention d'aller à Raconis un de ces jours, peut-être pour ne pas laisser les bonnes dispositions de Sa Majesté se dissiper. Vedremo.
      Papa m'a raconté son démêlé avec Mr Angelfrède. Celui-ci, à la suite de vives altercations avec la ville de Turin, au sujet d'un passage pour les morts, donna au roi un mémoire dans lequel le corps de ville et notamment mon père, étaient traités sans aucun ménagement; l'accusation était assaissonée [sic] d'injures grossières et personnelles, et c'était bien plus contre le marquis de Cavour que contre le syndic de Turin que le coup était porté. Le roi, après avoir ordonné une enquête, qui le convainquit de la fausseté des imputations calomnieuses dirigées contre les magistrats de la ville, fit contraindre Mr Angelfrède, et [sic] le menaçant d'une réclusion dans un château fort, à aller faire publiquement ses excuses aux syndics de la ville. Papa répétait avec une complaisance peu généreuse que, pendant qu'il était en leur présence, de grosses larmes s'échappaient des yeux du pauvre homme. Je doute que cette histoire ajoute beaucoup à sa popularité qui paraît être terriblement sur le déclin.
 
      J'ai calomnié mon pauvre ami Cassio, il ne m'a point oublié et il m'est toujours sincèrement attaché. S'il ne voyage pas avec moi, à qui la faute? Je n'ai rien à lui reprocher, tous les torts réels son de mon côté. Il m'écrit du bord du Winkelried, sur lequel il a traversé le lac de Genève, et il me parle avec un enthousiasme romantique des beautés de ce pays admirable. Après être retourné à Genève, il se propose de faire une escapade jusqu'à Paris. Il ne me donne aucun autre détail sur ses projets, sinon qu'il compte être de retour chez lui vers la fin de septembre. Qui sait quand je le reverrai. Peut-être qu'en allant à Paris je passerai par Gênes et Nice, je l'embrasserai alors. Je ne veux pas laisser s'éteindre la longue amitié qui règne entre nous. Si elle a perdu un peu de sa vivacité, elle conserve toujours ce caractère de franchise et de désintéressement réciproque, que je ne trouverai jamais ailleurs. À mon âge, moralement usé comme je suis, on garde ses anciens amis, on ne s'en fait plus de nouveaux. Cassio m'aimera toujours, j'en suis sûr. Seulement je dois lui passer quelques faiblesses et quelques inégalités dans sa conduite. C'est si peu de chose en comparaison de tout ce qu'il y a de bon et d'excellent en lui.

divisore
Nomi citati:
Papa, Mme de G[uasco], sa sœur, Nina, Cassio, ma mère, Papa, Winkelried, Angelfrède, Villamarina, mon père, roi.
Toponimi citati:
Vaudier, Santena, Genève, Gênes, Nice, Paris, Raconis, Turin, Sardaigne.

Allegati