SET
12
1834

12 settembre 1834 - 12 settembre 1834


Diario:
1834.

      Nina, la douce et bonne Nina est en politique d'une exaltation incroyable; elle professe le plus pur républicanisme; Mr Carrel est son Dieu et Raspail et Trélat ses héros; elle a été jusqu'à envoyer des fonds à la Jeune Italie, et à sympathiser avec Mazzini. Son âme ardente et généreuse s'est laissée transporter par les séduisantes théories des patriotes exaltés; le spectacle de l'avilissiment de sa patrie a révolté son cœur, et elle a embrasé [sic] avec fougue les principes qu'elle a crus les plus propres à lui donner l'indépedance et la liberté. J'ai fait tous mes efforts pour la ramener à des sentiments plus raisonnables. Il m'a été facile de la convaincre de la vanité de ses croyances, et du peu de fondement des théories qui l'avaient séduite. La raison est toute puissante lorsqu'elle a l'amour pour auxiliare. Pour agir plus fortement sur son esprit, j'ai tâché de tourner en ridicule les hommes qu'elle avait jusqu'alors admirés. Et Trélat et Raspail qu'elle avait respectés comme patriotes, n'ont plus été pour elle qu'un objet de mépris et de dégoût, représentés comme des bousingots. J'ai laissé Carrel à son adoration, d'abord parce que je le crois infiniment supérieur à tous ses confrères républicains, et ensuite parce qu'il est dangereux de détruire d'un seul coup tous les objets que notre âme avait coutume de respecter, et auxquels les sentimens généreux et les nobles pensées se rattachaient.

      J’ai dîné hier chez le gouverneur Paolucci. Il y avait plusieurs convives; à table la conversation n’a rien offert de remarquable, le maître de la maison tout occupé de faire bourgeoisement les honneurs de son repas, s’adressait successivement à tous ses hôtes, et rendait impossible tout discours un peu suivi. Après dîner j’ai eu une fort longue conversation avec un Anglais, qui a été longtemps directeur de l’établissement de la compagnie des Indes à Canton. Il professe le plus pur Toryisme, et condamne tout ce qui s’est fait depuis quatre ans. Cependant quand on en vient aux détails, il déploie un jugement fort sain, et un esprit pratique fort exercé qui l’empêchent de donner dans aucune exagération absurde. Par exemple, il ne désapprouve point le nouveau mode de gouvernement adopté pour les Indes; et il croit que le commerce libre avec la Chine pourra avoir lieu sans inconvénients. Tout ce qu’il m’a dit des Chinois, de leur arrogance, de leur vanité, de leur pusillanimité excessive, s’accorde parfaitement avec ce que Jacquemont et le capitaine Lindsay rapportent dans leurs ouvrages. Malgré cela, il ne croit pas qu’il puisse s’établir un commerce compulsif, en dépit de l’autorité impériale, tel que le dit capitaine a tenté de le faire, avec un succès étonnant. Selon lui, l’autorité centrale possède encore assez de force pour repousser toute tentative isolée qui ne serait pas appuyée par une puissance du premier ordre. Je l’ai trouvé d’une impartialité complète par rapport aux hommes politiques. Quelque tory qu’il soit, il n’en aime et n’en estime pas moins beaucoup lord Melbourne et lord Althorp. Il a, il est vrai, lord Durham en horreur, et lord Palmerston dans le plus profond mépris; peut-être leurs seigneuries méritent-elles ces sentiments, et [ce] n’est pas aux seules opinions politiques qu’il faut les attribuer.
      Comme j’avais fini ma longue conversation avec l’Anglais, Maîstre, qui était aussi du dîner, et qui avait à peine jusqu’alors échangé un salut avec moi, m’aborda brusquement et sans préambule se mit à me faire une tirade violente sur la politique du jour. J’eus la prudence de me renfermer dans une espèce de neutralité, qui ne conteste la bonté d’aucune chose; mais qui s’inquiète seulement sur la possibilité de les établir; ainsi sans combattre le système extrême de Maîstre, je me suis contenté d’exprimer des doutes sur la possibilité de le réaliser. La tâche m’était facile, car mon homme ne compte pas sur le cours ordinaire des choses pour amener le triomphe de ses opinions. Tout ce qui s’est fait et tout ce qu’on continue à faire lui paraît également absurde. Il n’a plus de foi dans la politique humaine, et n’a d’espérance que dans un avenir lointain, qui doit sortir d’un bouleversement universel, et d’une guerre civile générale qui doit ensanglanter et déchirer le monde. Après m’avoir parlé une heure et plus en style de prophète, il me quitta presque aussi brusquement qu’il m’avait abordé, et ne fit oncque depuis lors la moindre attention à moi. A-t-il été blessé de ne m’avoir ramené à ses opinions? Cependant il ne m’a jamais paru avoir l’air de penser à me convertir; ce n’est pas au rôle d’apôtre convertisseur qu’il aspire, il voudrait être un archange militant, combattant, le glaive à la main, les puissances de l’enfer. Que le Ciel le préserve de la folie de laquelle il paraît bien peu éloigné; et qu’il se daigne de nous soustraire, pauvres incrédules que nous sommes, de la domination de fer dont cet enragé là nous menace. Amen.

divisore
Nomi citati:
Nina, Carrel, Raspail, Trélat, Mazzini, Paolucci, lord Melbourne, lord Althorp, lord Durham, lord Palmerston, Jacquemont, Maîstre, capitaine Lindsay, compagnie des Indes.
Toponimi citati:
Canton, Chine.

Allegati