12 aprile 1836 - 12 aprile 1836
- Diario:
- 1835-1838.
12 avril, Villach
J'ai passé à Milan les deux fêtes de Pâques dans les plus tristes dispositions du monde. L'aventure de Buffalora, la nécessité d'avoir à faire avec la police et l'incertitude où j'étais sur l'affaire des moutons, tout contribuait à me mettre de mauvais humeur. J'ai prodigieusement dormi, passablement promené et je me suis copieusement ennuyé. Le lundi, j'ai dîné chez Mr Pasteur avec la belle madame Ulric qui a recouvré le don de la parole depuis qu'elle habite Milan, sans rien perdre des charmes de sa figure. Dans la soirée Mme belle-sœur de Manzoni et femme d'un banquier allemand, est venue en visite; elle a une figure régulièrement intéressante et un son de voix d'une douceur captivante. Je l'aurais cent fois préférée à madame Ulric quoiqu'elle soit bien moins régulièrement belle.
Le quatre avril à cinq heures du soir, je suis monté dans le wagon et, à mon grand plaisir, j'ai quitté la superbe Milan. Pendant la nuit nous avons traversé la province de Brescia, qui me parut fort belle pour ce que j'en ai pu voir au clair de la lune. À l'aurore nous sommes arrivés au bord du lac de Garde et nous avons pu admirer les beautés remarquables de ces sites pittoresques. De Peschiera à Verona la route est monotonement tracée à travers un pays peu fertile et d'un aspect ennuyeux. On arrive avec plaisir dans cette ville, qui abonde en signes d'ancienne grandeur dont il ne reste que des traces. L'amphithéâtre admirablement bien conservé est digne de la magnificence romaine. J'ai été voir, par respect pour Shakespeare et par acquit de conscience, le tombeau de Romeo et de Julietta, qui n'est autre chose qu'un abreuvoir de bœufs auquel on a mis un nom pompeux.
Nous sommes parti à midi de Vérone, et après avoir marché tout le jour, toute la nuit, et traversé Vicence et Trévise, nous sommes arrivés le jour d'après à midi à Udine, ville où je devais quitter le courrier. L'idée m'est venue pendant le dîner d'acheter deux chevaux du pays, dont j'avais entendu vanter la force et la bonté; et j'ai cru pouvoir m'adresser au maître de l'auberge dont l'honnêteté m'avait été garantie par le courrier et plusieurs voyageurs. Celui-ci me remit à son garçon, beau garçon qui se vantait de se connaître aussi bien en chevaux qu'en balais.
Plein de confiance en lui, je me suis laissé mener dans une écurie pleine de chevaux appartenant à un certain avocat de la ville; là nous trouvâmes un impudent brocanteur qui nous fit sortir successivement tous les chevaux de l'écurie en nous vantant la bonté des uns, la grâce des autres, les mérites de tous. Moi, pauvre ignorant, je me suis laissé séduire par deux petites juments noires, qui avaient la plus jolie tournure du monde. Je les fais visiter par Messa qui en est plus enchanté que moi. Je demande leur prix, on me répond qu'elles valent 60 louis. Je me récrie et Messa déclare qu'elles ne valent que 36 louis au plus. Là-dessus je romps la négociation et je m'en retourne chez moi. Je croyais l'affaire finie, lorsque ce scélérat de garçon vint me proposer d'aller traiter lui-même avec le médecin; je me laisse séduire par ses belles paroles, et j'offre 39 louis. Il me prend au mot, court chez le docteur, revient me prendre, m'entraîne avec lui et me lance entre trois courtiers et le docteur lui-même. Ma tête se trouble, je ne sais plus comment résister aux instances dont on m'accable de toutes parts, mon esprit est submergé par un déluge de paroles et dans mon délire je consens à payer ces mauvaises rosses 40 louis. Le dernier mot ne m'était pas encore échappé que je m'en repentais déjà. Il n'était plus temps, j'étais dedans et il fallut y rester. On fit la farce d'essayer les chevaux; je fus promené dans toutes les rues d'Udine et livré aux risées de tous les badauds qui riaient probablement en me voyant si cruellement mystifié. Une fois que j'eus les chevaux, il me fallut par dessus le marché acheter un petit char et des harnais; je fis à cet égard de moins mauvais contrats, quant aux harnais surtout.
Le lendemain malgré la pluie, je me hâtai de me mettre en route pour m'éloigner d'Udine, où je me trouvais faire une sotte figure. Je pris le mauvais temps assez bien en patience, et je me consolai en voyant mes chevaux faire meilleure figure que je ne l'aurais cru. La pluie néanmoins continuant, je m'arrêtai à la première poste pour les laisser se reposer. Le soleil ayant paru, je me remis en route d'assez bonne humeur. Nous n'avions pas fait deux cent pas qu'il me parut que ma jument de droite, la plus jeune et la plus belle des deux, boîtait légèrement. Je le dis à Messa: nous l'examinons bien tous deux, et au bout de quelques minutes nous nous convainquons qu'en effet, le cheval boîtait et très fort. L'état dans lequel je tombai n'est pas facile à décrire, j'étais hors de moi-même. Dans ma colère, je m'emportai contre Messa de la manière la plus ridicule. Je l'accablais d'injures, enfin pendant une heure j'étais fou de rage.
Enfin je me calmai et je pris le sage parti de m'arrêter au premier village que je rencontrai pour mieux examiner l'état du cheval. Lorsqu'il fut reposé, nous le fîmes sortir de l'écurie, trotter et galoper dans la cour et nous n'aperçûmes plus rien. Je me tranquillisai dans l'espoir que cela n'était rien, et ne voulant plus m'inquiéter, je pris le parti de partir seul dans un char de louage, laissant Messa pour soigner comme il pourrait mes juments.
D'Ospedaletto à Pontebba avec un cocher allemand. À Ospedaletto j'ai trouvé un poste dans la diligence à côté du conducteur, qui m'a régalé de plusieurs histoires illustratives de la bonté du feu empereur et de son amour pour les Viennois.
Arrivé à Villach samedi 9 avril à 3 heures du matin à demi mort de froid. Levé à 11 heures. Mes bergers chez Kassin.
11 avril, dimanche: assisté à la messe, où les enfants des écoles chantaient des cantiques en allemand. Toutes les boutiques ouvertes comme les jours ordinaires. Arrivé de Bertolat. Ses exploits avec les bergers hongrois; étrange original. Il est de Narsole et il a bien le caractère hardi et entreprenant de ce pays.
11 avril: dans l'après-midi nous avons été avec Mr Kassin, chez Mr Fitz, qui m'a fait voir la fabrique de [...]. Les procédés de fabrication sont assez simples. On étend du plomb en longs rubans, minces et larges, qu'on suspend dans des espèces de coffres. Au-dessous de ces coffres il y a des caisses remplies de vinaigre. On chauffe l'appareil jusqu'à 40 degrés. Le vinaigre en s'évaporant, se combine peu à peu avec le plomb et le décompose lentement. Au bout d'un ou deux mois, on retire les feuilles à demi décomposées, on enlève les parties de plomb restées intactes et l'on remet les autres une seconde fois dans l'appareil. Cette opération est répétée plusieurs fois, jusqu'à ce que les feuilles soient entièrement décomposées, ce qui exige une année au moins. On les retire alors, et il en résulte une poudre blanchâtre, qu'on jette dans l'eau, où les parties hétérogènes s'évaporent.
Il y a encore plusieurs opérations pour purifier et perfectionner la [...]. Mais celles que nous venons de rapporter constituent la partie principale et essentielle de la fabrication. Mr Fitz, saxon d'origine, est un homme charmant duquel j'ai reçu l'accueil le plus aimable.
Arrivée du troupeau. Finesse de Bertolat. L'ami Batistone.

- Nomi citati:
- Pasteur, madame Ulric.
- Toponimi citati:
- Milan, Buffalora, Brescia, lac de Garde, Peschiera.