SET
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1833

05 settembre 1833 - 05 settembre 1833


Diario:
1833.

      J’ai lu, à la Société de lecture, un article de la Revue d’Édimbourg sur la commutation des impôts indirects en impôt sur les capitaux et sur les revenus. Le rewiewrs [sic] démontre d’abord, que ces deux derniers modes d’impôts, que l’on confond toujours, sont tout-à-fait distincts, et donnent des résultats bien différens.
      Passant ensuite à l’analyse des effets de chacun d’eux, il prouve qu’il est impossible de déterminer, d’une manière tant soit peu approchante de la vérité, la valeur réelle des capitaux que chacun possède. On peut bien déterminer la valeur d’une maison, d’un fonds de terre ou d’une rente sur l’État, mais comment apprécier le capital qu’un fermier emploie dans l’exploitation de sa ferme ou celui d’un manufacturier? Le recours aux livres de comptabilité ne ferait que forcer les industriels à adopter un mode de comptabilité énigmatique, où le fisc n’entendrait goutte. Et quand même on parviendrait à se faire une idée, par les livres de comptabilité ou tout autre moyen, de la valeur réelle des capitaux que le fermier ou le manufacturier ont employés dans leur entreprise, ne faudrait-il pas, si l’on a la moindre prétention à la justice, se livrer à des calculs impossibles, pour apprécier la nouvelle valeur que ces capitaux ont prise, en se fondant soit dans la terre, soit dans l’établissement d’une manufacture? L’impôt sur les capitaux ne pouvant se fonder sur une évaluation approchante de la vérité des capitaux existans, il faudrait avoir recours aux déclarations volontaires que chaque individu serait tenu de faire, sous serment, de toute sa fortune. Comme cela se pratique à Genève. Pour peu qu’on veuille réfléchir, on verra qu’un tel moyen ne serait autre qu’une prime accordée aux fripons et à la masse immense des personnes peu délicates, aux dépens du petit nombre des honnêtes gens. Et que bien plus si l’impôt était destiné à atteindre une somme un peu forte, et que, par conséquent, on voulut exiger de la bonne foi de chacun un sacrifice considérable de son revenu, peu à peu l’opinion publique, révoltée contre ce mode d’impôt, finirait par établir que l’on peut sans honte tromper le fisc, et il en résulterait qu’à l’exception de l’infiniment petit nombre, qui ne tient compte que des devoirs moraux tels qu’ils existent réellement, et non tels que la société les fait, personne ne se ferait scrupule de commettre un ou deux parjures par an. L’impôt sur les capitaux aurait en outre l’effet désastreux d’engager les industriels à conduire leurs entreprises avec la moindre quantité de capital possible, principe destructeur de tout progrès agricole ou industriel. De plus, tous ceux qu’un amour réel de leur pays ne retiendrait pas chez eux, s’empresseraient d’emporter chez leurs voisins leurs capitaux et leur industrie, pour en tirer tout le parti dont ils sont capables, sans être obligés d’en partager les profits avec les gouvernants. J’oubliais d’ajouter que cet impôt n’atteignait [sic] pas une classe fort nombreus et fort riche, celle qui vit de rémunérations personnelles. Ainsi, un avocat gagnant 100,000 fr., ou un médecin dans le même cas, seraient tout à fait exempts d’impôts, tandis qu’un malheureux ouvrier payerait pour les outils qui lui servent à gagner sa vie.
      L’impôt sur les revenus n’offre pas les mêmes inconvéniens capitaux, quoique il en ait de bien graves. L’appréciation exacte des revenus est pour le moins aussi difficile que celle des capitaux; car, accordé même qu’on puisse déterminer la somme exacte que retire une personne dans ses coffres sous la forme de revenu, il faudra nécessairement tenir compte de la source d’où il dérive. On ne peut mettre sur la même ligne le revenu d’une terre, qui augmente de valeur plutôt que d’en diminuer, et celui d’un bâtiment qui se détériore annuellement. Les calculs auxquels il faudrait avoir recours sont à peu près inexécutables. Si plus juste que dans l’impôt sur les capitaux on voulait atteindre les gains personnels on rencontrerait bien d’autres difficultés. Il faudrait faire entrer en ligne de compte non seulement le gain absolu, mais les chances auxquelles est soumise sa durée, soit par les causes ordinaires de mort, maladie, etc., soit par des causes extraordinaires de mode, etc. Une danseuse qui gagne 30,000 fr. tant qu’elle est jeune et jolie, ne doit pas payer dans la même proportion qu’un médecin dont les honoraires augmentent avec l’âge.
      Cet impôt a en outre l’inconvénient majeur de mettre tous les contribuables en contact avec le fisc. Relation qui tend à rendre l’impôt odieux. En Angleterre on ne peut assigner d’autre raison à l’immense impopularité des assessed taxes, impôt sur les portes et fenêtres, fondé sur les bases les plus raisonnables, sinon aux rapports directs qu’il établit entre les agens du trésor et la presque totalité des habitans.
      En résumé, l’auteur de l’article conclut que l’impôt sur les capitaux est soumis à de si graves inconvéniens que rien ne pourrait en justifier l’application; que l’impôt sur les revenus en offre beaucoup moins, et que ses effets sont moins désastreux, que par conséquent on pourra en faire usage dans les cas d’une pressante nécessité, analogue à celui où l’Angleterre se trouvait lors de la lutte terrible avec Napoléon. Mr et Mme de Tonnerre et moi avons dîné à Chouilly. Châteauvieux papa ne croit pas que le gouvernement de Louis-Philippe soit assez fort pour faire la guerre. Je crois qu’il se trompe. Châteauvieux fils est un bon garçon; ayant fait sa politique dans les corps de garde des Tuilleries [sic] et de Saint-Cloud, il raisonne en conséquence, parlant de la loi agraire, de bouleversement général et d’autres choses sur cet air là.

divisore
Nomi citati:
Revue d’Édimbourg, Châteauvieux papa, Louis-Philippe, Châteauvieux fils, Napoléon.
Toponimi citati:
Société de lecture, Angleterre, Chouilly, Tuilleries, Saint-Cloud.

Allegati